Bail d'habitation

Civ. 3e, 11 juillet 2007


L'ESSENTIEL

Un congé, délivré dans les conditions de forme de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 et signifié au locataire plus de six mois avant la date d'expiration du bail, fait obstacle à ce que le bail soit reconduit tacitement, peu important que la date d'effet mentionnée dans le congé soit celle du lendemain du terme du bail.

Art. 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 - Congé délivré par le bailleur - Calcul du délai de préavis - Respect - Congé donné pour le lendemain de la date d'expiration du bail

J. 01 Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mai 2005), que Mme Renard, propriétaire d'un appartement donné en location à M. Chitrakar, lui a délivré le 26 septembre 2001 pour le 1er avril 2002 un congé avec offre de vente, puis l'a assigné pour faire déclarer ce congé valable ;

Attendu que M. Chitrakar fait grief à l'arrêt de déclarer régulier le congé, de dire qu'à compter du 1er avril 2002 il est occupant sans droit ni titre et de le condamner à payer une indemnité d'occupation à compter de cette date, alors, selon le moyen :

1/ que si le bailleur ne donne pas congé dans les conditions de forme et de délai prévus à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement, soit renouvelé ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que le bail venait à expiration le 31 mars 2002 et que le congé a été donné pour le 1er avril 2002, soit le lendemain de la date d'expiration du bail ; qu'en validant ce congé et en décidant que M. Chitrakar était occupant sans droit ni titre à compter du 1er avril 2002, la cour d'appel a violé les articles 10 et 15 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 114 du nouveau Code de procédure civile, par fausse application ;

2/ que lorsqu'un délai est déterminé en mois, ce délai expirant le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de l'acte qui fait courir le délai, à défaut, le dernier du mois, tout délai expirant le dernier jour à 24 heures ; qu'en énonçant que le délai venant à expiration le 31 mars 2002 à 24 heures correspondait au 1er avril 2002 à zéro heure, la cour d'appel a violé les articles 641 et 642 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le congé avait été signifié par Mme Renard le 26 septembre 2001, soit plus de six mois avant la date d'expiration du bail, le 31 mars 2002 à 24 heures, et abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la date d'effet du congé au 1er avril 2002, la cour d'appel en a exactement déduit que M. Chitrakar était mal fondé à soutenir que le bail s'était trouvé reconduit, faute de congé régulier ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;
M. Chitrakar c./ Mme Renard
Pourvoi n° 06-15.943


OBSERVATIONS
Eric BAZIN
Magistrat

1. Dans un arrêt du 11 juillet 2007, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation vient de modifier sa jurisprudence en matière de congés donnés pour une mauvaise date en adoptant une position plus souple et plus libérale.

2. En l'espèce, il s'agissait d'une bailleresse qui avait délivré le 26 septembre 2001 à son locataire un congé pour vente pour le 1er avril 2002. Ce dernier faisait alors grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré régulier le congé pour vente et d'avoir dit en conséquence qu'il devenait un occupant sans droit ni titre et de l'avoir condamné à payer une indemnité d'occupation à compter de cette date.

Les juges d'appel avaient motivé leur décision en considérant que le congé litigieux respectait le délai de préavis de six mois au regard du terme du bail convenu pour une durée de trois années à compter du 1er avril 1999 de sorte qu'il venait à expiration le 31 mars 2002 à 24 heures correspondant au 1er avril 2002 à zéro heure et que la date d'effet du congé au 1er avril 2002 correspondait au premier jour d'expiration du bail, à partir duquel le locataire était devenu occupant sans droit ni titre. Poursuivant leur motivation, ils ajoutaient que s'il n'était pas contesté que le bail, à effet du 1er avril 1999, expirait le 31 mars 2002 à minuit, que le congé aurait dû être délivré pour le 31 mars 2002 et qu'il a été délivré pour le 1er avril, il était constant que le délai de six mois prescrit à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 avait été respecté, même si le congé avait été donné pour le lendemain de la date d'expiration du bail.

Pour le demandeur au pourvoi, si le bailleur ne donne pas congé dans les conditions de forme et de délai prévus à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement soit renouvelé. Dès lors que les juges d'appel ont constaté que le bail venait à expiration le 31 mars 2002 et que le congé avait été donné pour le 1er avril 2002, soit le lendemain de la date d'expiration du bail, ils devaient déclarer le congé litigieux nul.

3. Le problème de droit à résoudre était donc le suivant : le congé donné pour une date erronée, à savoir le lendemain de la date d'expiration du bail mais signifié plus de six mois avant son terme, est-il régulier ?

4. La troisième Chambre civile de la Cour de cassation répond favorablement et motive sa décision de rejet du pourvoi comme suit : « ayant relevé que le congé avait été signifié par la bailleresse le 26 septembre 2001, soit plus de six mois avant la date d'expiration du bail, le 31 mars 2002 à 24 heures, et abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la date d'effet du congé au 1er avril 2002, la Cour d'appel en a exactement déduit que [le locataire] était mal fondé à soutenir que le bail s'était trouvé reconduit, faute de congé régulier ».

Une telle solution n'est pas évidente car elle rompt avec une jurisprudence précédente très sévère et va beaucoup plus loin que de reporter les effets d'un congé donné pour une date erronée.

5. Il faut rappeler que si le congé prématuré n'est pas nul, ses effets étant seulement reportés à la date pour laquelle il aurait dû être donné(1), le congé donné pour une date erronée, à savoir le congé donné pour une date postérieure à l'échéance du bail, ne fût-ce que d'un seul jour, a été clairement sanctionné en dernier lieu par la Cour de cassation par la nullité(2). Cette solution repose sur le fait qu'admettre une prise d'effet différée du congé, donc pour une date postérieure à l'expiration du bail, se heurte fatalement à un renouvellement déjà réalisé du bail, plus précisément à un renouvellement de plein droit à la date mentionnée dans le contrat de location.

Ainsi a été privé d'effet un congé donné pour le 1er janvier 1995 à 24 heures alors que le bail expirait le 31 décembre 1994(3). En d'autres termes, le congé aurait dû être donné pour le 31 décembre 1994 et non pour le 1er janvier 1995.

6. Or, il faut savoir qu'auparavant, dans un arrêt du 29 novembre 1995(4), la Haute juridiction avait pu valider un congé donné pour une date erronée par interprétation de la volonté du bailleur. En l'espèce, le congé avait été donné pour le 1er novembre alors que le terme du bail était le 31 octobre. Pour autant, la Cour de cassation a suivi l'appréciation des juges du fond qui avaient considéré que le bailleur avait voulu en réalité donner congé pour le 31 octobre en exigeant du locataire qu'il quitte les lieux le 1er novembre. D'autres décisions ont jugé qu'un tel congé devait être qualifié de tardif et donc ne pouvait valoir pour l'échéance pour laquelle il avait été donné mais décidé que ses effets étaient alors reportés au terme du contrat de bail reconduit(5).

7. C'était dire que dans son arrêt du 8 avril 1998, la Cour de cassation n'entendait plus sauver toutes les formes de congé tardif en décidant qu'un tel congé était nul et donc insusceptible de faire échec au droit au renouvellement du bail au profit du locataire(6). Dans son commentaire de cet arrêt du 8 février 1998, Monsieur Vincent Canu écrivait qu'« à la date du 1er janvier, le bail s'était renouvelé de plein droit. Le congé aurait donc dû être délivré pour le 31 décembre 1994 : quel formalisme ! On a connu la Cour de cassation moins rigoureuse » et citait à ce titre le fameux arrêt du 29 novembre 1995 où la Haute juridiction avait sauvé un congé donné pour le 1er novembre alors que le terme du bail était le 31 octobre... Il concluait qu'on a du mal à comprendre ces mouvements désordonnés de la Cour dite régulatrice.

8. Nous partageons le même sentiment aujourd'hui car c'est encore pour une erreur d'un seul jour que la Cour de cassation dans l'arrêt commenté a eu à se prononcer. En effet, ce qui faisait difficulté dans la présente affaire ce n'était pas le délai de préavis de six mois qui avait été ici parfaitement respecté mais la date du terme du bail mentionnée dans le congé qui était inexacte, à savoir que la bailleresse avait donné congé pour le lendemain de la date d'expiration du bail, soit pour le 1er avril 2002, alors que le bail en question expirait le 31 mars 2002 à minuit. On se retrouve donc dans le même cas de figure que dans les arrêts de 1995 et de 1998, sauf qu'en 1995, les Hauts magistrats ont sauvé le congé et qu'en 1998, ils ont estimé que le congé était irrégulier.

9. La troisième Chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt du 11 juillet 2007 choisit de rompre avec sa jurisprudence du 8 avril 1998 en décidant que le respect du délai de préavis de six mois est une condition impérieuse mais suffisante pour que le congé délivré par le bailleur soit valable. Les Hauts magistrats ajoutent même pour enfoncer le clou que le motif relatif à la date d'effet du congé est surabondant... Tout est dit. Il s'agit manifestement, à juste titre d'ailleurs, car la rigueur antérieure restait trop sévère, de sauver ces congés donnés pour une date erronée. En effet, il est possible de se fonder sur le fait que dès lors que les conditions de délai ont été parfaitement respectées, le congé a alors produit ses effets à la date d'expiration du contrat de bail. En d'autres termes, le bail est résilié à cette date et les occupants sont par voie de conséquence sans droit ni titre. En raisonnant sur les effets du congé et non sur le droit au renouvellement du bail, il importe peu finalement que la bailleresse ait porté une date erronée sur le congé car une telle mention ne saurait faire renaî tre un contrat de location qui est d'ores et déjà expiré(7). Cela reste peut-être discutable en droit mais c'est la solution adoptée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 11 juillet 2007.

10. Mais cet arrêt du 11 juillet 2007 va plus loin que de reporter simplement les effets du congé à la première date utile soit normalement le terme du contrat reconduit(8), comme tentait de le suggérer une certaine jurisprudence(9). En effet, la solution dégagée par la Cour de cassation a pour conséquence de rendre valable le congé délivré pour le lendemain de la date d'expiration du bail mais signifié plus de six mois avant son terme, et donc de faire du locataire un occupant du logement sans droit ni titre. Le bail se trouve donc immédiatement et non ultérieurement résilié. Le congé a produit ses effets à la bonne date d'expiration du bail et il n'y a donc pas lieu de reporter ses effets à une date ultérieure, soit à la date d'expiration du bail renouvelé (le bail ne se trouve pas renouvelé, malgré un congé donné pour une date erronée).

11. En conclusion, la Cour de cassation opère de nouveau un revirement de jurisprudence, ce qui est toujours navrant, même si en l'occurrence, elle adopte une solution plus souple en matière de congé délivré par le bailleur. En bref, elle maintient l'exigence du respect du délai de préavis de six mois par le bailleur mais fait dorénavant savoir que l'indication de la bonne date du terme du bail dans le congé n'est plus une condition nécessaire à la validité du congé. En définitive, et c'est ce que les praticiens devront retenir, le congé donné pour le lendemain de la date d'expiration du contrat de bail reste valable dès lors qu'il a été signifié plus de six mois avant son terme... pour l'instant ! Finalement, cet arrêt du 11 juillet 2007 s'inscrit dans un mouvement plutôt favorable au bailleur en matière de congé. En effet, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a, dans un arrêt du 28 mars 2007(10), décidé que le courrier d'acceptation d'une offre envoyé à l'huissier était valable dès lors que le congé notifié au locataire contenait une élection de domicile en l'étude de l'huissier. Il faut ajouter que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 16 mai 2007, qu'il n'était pas nécessaire que le mandataire qui délivre pour le compte du bailleur congé au locataire indique son nom et précise qu'il intervient en cette qualité(11). De même, il est symptomatique de constater que la Cour d'appel de Paris a pu estimer que le congé délivré par acte d'huissier était valable malgré une erreur sur le prénom de la femme dès lors qu'il ne pouvait pas y avoir méprise sur le destinataire de l'acte(12). A l'implacable rigueur, fait place une libéralisation du formalisme applicable aux baux d'habitation. Si nous ne sommes pas toujours d'accord sur un tel mouvement libéral, il n'en demeure pas moins que la solution ancienne était manifestement trop sévère et imméritée.