Fureur autour du verdict du deuxième procès d'Outreau
[2006-04-14 17:40]

par Thierry Lévêque

SAINT-OMER, Pas-de-Calais (Reuters) - Six des sept accusés de la seconde affaire de pédophilie d'Outreau ont été condamnés à deux ans de prison pour "corruption de mineurs" à la cour d'assises du Pas-de-Calais.

Après trois semaines de procès et six heures de délibérations, la septième accusée, Renée L., 61 ans, a été acquittée de toutes les accusations.

La cour a par ailleurs totalement abandonné les 35 viols et 46 agressions sexuelles sur dix enfants entre 1994 et 2001, retenues initialement. Un délit de violences sur mineurs, jamais évoqué à l'instruction, est retenu dans un cas.

Les six condamnés, déjà détenus durant 32 à 34 mois durant l'enquête, ne retourneront pas en prison.

Quatre mois après le scandale provoqué par le fiasco de la première affaire, le verdict a provoqué une violente colère unanime des avocats de la défense, qui ont annoncé unanimement leur intention de faire appel.

Ils considèrent que la cour a tenté de camoufler un second désastre. "C'est ridicule, totalement incompréhensible. On a perdu une occasion unique et extraordinaire d'en finir avec les errements de la justice aux lendemains de la commission Outreau", a dit Me Hubert Delarue.

"On pourrait rire, mais ce n'est pas une farce, c'est un drame", a dit Me Eric Dupond-Moretti. "Paquet-cadeau, deux ans pour tout le monde et estimez-vous heureux. Jusqu'où ira-t-on pour sauver l'institution judiciaire ?", a dit Me Franck Berton.

Les six condamnés sont trois frères, trois soeurs devenues leurs compagnes. La personne acquittée est la mère de ces dernières.

La "corruption (morale) de mineurs", nouvelle appellation de l'ancien délit "d'incitation de mineurs à la débauche", est passible d'un tribunal correctionnel et non des assises. Elle suppose que les accusés auraient fait preuve de comportements moralement répréhensibles devant leurs enfants.

Ce délit n'était ni explicité, ni daté dans l'ordonnance de renvoi de l'affaire, en 2004, qui ne parlait que de viols et d'abus sexuels. Il n'a pas fait l'objet de débats à l'audience.

L'OMBRE DU SCANDALE

Dans les couloirs, les avocats se sont querellés avec Eric Vaillant, magistrat chargé des relations avec la presse pour le parquet général.

"C'est vrai que c'était un dossier mal ficelé, mal instruit, mais il y en a marre qu'on traîne la justice dans la boue parce que le verdict ne va pas dans le sens qui plait à certains avocats", a dit ensuite le magistrat aux journalistes.

Mardi, l'accusation avait demandé sept condamnations allant jusqu'à huit ans de prison ferme. L'avocat général avait abandonné les viols et retenu une seule agression sexuelle, concernant une victime, contre trois des accusés, ainsi que les délits de corruption de mineurs et de violences.

La défense avait plaidé un acquittement général. En théorie, les accusés encouraient au départ jusqu'à vingt ans de réclusion.

Vendredi matin, ils ont tous clamé une dernière fois leur innocence avant les délibérations de la cour.

"J'aime mes enfants, ils resteront toujours dans mon coeur, je suis innocente", avait dit Fernande V. "J'ai rien fait, j'aime mes enfants et je suis innocent", avait ajouté Didier D.

L'ombre du scandale provoqué par la première affaire d'Outreau a plané sur ce procès. La défense, où figurait les principaux avocats de la première affaire, a estimé que les mêmes causes avaient produit les mêmes effets.

L'accusation, représentée par trois avocats généraux chevronnés venus spécialement de la cour d'appel de Douai, soutenait que l'affaire n'avait rien à voir avec le scandale et n'était qu'un "banal dossier d'inceste familial".

L'avocat général Jean-Marie Descamps s'était placé peu à peu sur le terrain de la morale, estimant dans son réquisitoire que les pratiques échangistes revendiquées par les trois couples à l'audience portaient préjudice aux enfants.

Dans son réquisitoire, il avait ainsi condamné "l'écrasement des valeurs traditionnelles". Me Eric Dupond-Moretti lui avait répliqué en rappelant que le pays ne s'était pas offusqué des deux familles de l'ancien président François Mitterrand, et lancé : "ce n'est pas le procès de la morale".