Dématérialisation des procédures judiciaires : regards sur l'arrêté du 28 août 2012(1)

Jean-François BAUVIN huissier de justice, vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice

Thierry GHERA Président du Tribunal de grande instance de ValencePrésident de la Commission Dématérialisation des procédures judiciaires (IEPJ)

Gabriele MECARELLI Maître de conférences à l'Université Paris Sud

I. 12 1. Introduction. Suite (très) attendue du décret n° 2012-366 du 15 mars 2012(2) et de l'arrêté du 22 mai 2012(3) (modifié le 1er octobre(4)), l'arrêté « technique » du 28 août 2012(5) permet, depuis le 1er septembre dernier, à l'issue d'un processus législatif et réglementaire entamé il y presque deux ans(6), le déploiement en France de la signification par voie électronique. Même si, pour le moment, les premiers actes signifiés par voie électronique n'ont pas encore été délivrés(7), la « révolution numérique(8) » est bien là et contraindra sans doute à repenser le rôle de la signification dans l'équilibre de la procédure civile. Désignée, depuis plusieurs années, comme victime sacrificielle sur l'autel de la modernité de la procédure, au bénéfice de la notification, la signification retrouve, pour la première fois, grâce aux nouvelles technologies, une avance technique indéniable par rapport à la lettre recommandée tout en conservant (au prix de la modification de certaines dispositions du Code de procédure civile) sa fidélité aux principes sur lesquelles elle repose. Affirmés dans le décret du 15 mars 2012, qui a concilié les règles traditionnelles de la signification avec les exigences spécifiques de la communication électronique du titre XXI du premier Livre du Code de procédure civile (articles 748-1 et suivants), ces principes devaient trouver une traduction technique, indispensable dans une matière désormais dominée par les contraintes technologiques. C'est chose faite depuis le 1er septembre dernier. On aurait dès lors tendance à classer l'arrêté du 28 août dernier parmi les dispositions techniques de plus en plus nombreuses qui - en cette période de dématérialisation - viennent compléter les réformes procédurales.

2. Objet de l'arrêté. Il ne faudrait pourtant pas se tromper, puisque l'arrêté du 28 août a un objet plus vaste que celui de la simple mise en œuvre (pourtant essentielle) de la signification par voie électronique. « Portant application des dispositions du titre XXI du livre Ier du Code de procédure civile », comme indique son intitulé, cet arrêté vient fixer le cadre technique général des échanges dématérialisés auquel participent les huissiers de justice, en fixant des règles qui s'appliquent bien au-delà de la simple signification par voie électronique. Dès lors, nous sommes en présence d'un arrêté dont la portée transversale n'est pas sans rappeler celle des autres arrêtés techniques adoptés au cours des dernières années en matière de dématérialisation(9) à destination surtout des avocats. Le plan de l'arrêté suffit pour en convaincre, les modalités techniques de la [p. 223] signification par voie électronique (chapitre II) étant précédé d'un chapitre plus général consacré aux « dispositions générales relatives à la sécurité des moyens de communication électronique des huissiers de justice et à l'identification des parties ». On s'aperçoit dès lors que l'ambition, plus large, de l'arrêté du 28 août est bien de définir le périmètre technique dans lequel évolueront les huissiers de justice au sein de l'E-justice de droit français. Or, l'étude de ce périmètre recèle de nombreux intérêts qui pourraient passer, de prime abord, inaperçus, tant du point de vue du cadre technique général (I) que des possibilités d'échanges mises en place (II), aux côté du dispositif technique de la signification par voie électronique (III).

I. Le cadre technique général : le RPSH

3. Négligé par la quasi-totalité des premiers commentateurs, le Réseau Privé Sécurisé des Huissiers de justice (RPSH) représente, du point de vue de la communication par voie électronique, la première nouveauté de l'arrêté du 28 août 2012. Jusqu'à présent, en effet, les échanges dématérialisés impliquant les huissiers de justice se limitaient, dans la sphère judiciaire, au traitement automatisé des injonctions de payer (IP Web) qui a fait l'objet d'un arrêté en 2011(10). La particularité du système d'IP Web, par rapport aux autres expériences de communication électronique menées (fondées essentiellement sur les échanges entre réseaux privés virtuels, et particulièrement entre RPVJ et RPVA) résidait dans l'absence (inexistence ?), dans cette hypothèse, de dialogue entre réseaux privés virtuels. Côté juridictions cette particularité se justifiait en raison de l'actuelle absence de déploiement du RPVJ au sein des tribunaux d'instance ; côté huissiers de justice, par l'absence de tout réseau privé virtuel propre à cette profession. Pourtant, l'expérience récente, liée notamment au développement du RPVA (malgré les difficultés rencontrées(11)) montre que la création d'un environnement d'échanges sécurisés au sein d'une profession facilite le développement de communication électronique tant dans le cadre des rapports entre les membres de cette profession qu'avec des tiers (juridictions, autres professions, tiers). L'expérience menée par le Conseil National des Barreaux, dans la construction du réseau RPVA, associée au portail E-barreau, représentait le germe d'un modèle que les huissiers de justice ont suivi dans la création et le déploiement de leur propre réseau sécurisé (le RPSH, Réseau Privé Sécurisé Huissiers de justice), déployé en l'espace d'un an à la totalité de la profession. C'est donc désormais par l'intermédiaire de la nouvelle plateforme E-huissier, accessible uniquement au sein du RPSH, par un mécanisme d'authentification, que les huissiers de justice communiqueront électroniquement. Si, effectivement, la Chambre nationale des huissiers de justice avait déjà signé avec le Ministère de la Justice une convention permettant le démarrage d'une expérience de communication électronique dans des juridictions pilotes (Valence et désormais Paris), la reconnaissance juridique du RPSH demeurait fragile. L'arrêté du 28 août comble désormais cette lacune et confirme que toutes les communications électroniques que les huissiers de justice seront amenés à mettre en œuvre transiterons par le RPSH et la plateforme E-huissier (art. 2(12)), dont l'arrêté fixe les exigences en termes de sécurité (art. 3, 4) et les moyens d'identification de l'huissier de justice (art. 5). Les huissiers de justice signeront, par l'intermédiaire de leurs dispositifs de signature, les actes adressés par voie électronique (art. 6(13)). Le déploiement et la reconnaissance par le législateur du RPSH ouvre dès lors de nouvelles perspectives à la communication électronique par les huissiers de justice et rend possible, du point de vue technique, l'interconnexion avec les autres réseaux privés virtuels professionnels et notamment avec le RPVJ. En attendant cette interconnexion, les expérimentations en cours auprès de certaines juridictions permettent d'esquisser les contours des possibles évolutions.

II. Les échanges au sein du monde du droit

4. Conformes aux exigences de fiabilité et de sécurité visées à l'article 748-6 du Code de procédure civile, les échanges électroniques réalisés par les huissiers de justice par l'intermédiaire du réseau privé sécurisé huissiers (RPSH) et la plate-forme E-huissier offrent au justiciable l'avantage d'un double élargissement du périmètre de la dématérialisation des procédures judiciaires. D'une part, deux nouvelles juridictions - le tribunal d'instance et la juridiction de proximité - un nouveau service - celui du juge de l'exécution - sont désormais concernés, tandis que la procédure ordinaire devant le tribunal de grande instance élargit le champ de sa dématérialisation grâce à l'emploi de l'assignation comme de l'acte du palais électroniques. D'autre part, les échanges par voie électronique ne sont plus circonscrits à un dialogue entre auxiliaire de justice et juridiction mais se déploient aux échanges entre auxiliaires de justice, huissiers de justice et avocats entre eux.

[p. 224] A. L'élargissement du périmètre des échanges par voie électronique avec les juridictions

5. En instituant un protocole de communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier degré et les huissiers de justice, la convention nationale signée le 15 décembre 2011 par le garde des Sceaux et le Président de la Chambre nationale des huissiers de justice étend pour beaucoup le champ de la dématérialisation des procédures judiciaires(14).

Cette extension se matérialise dans trois dimensions. Tout d'abord, devant le tribunal d'instance et la juridiction de proximité, la procédure d'injonction de payer est totalement dématérialisée. Ensuite, l'huissier de justice peut désormais présenter une requête par voie électronique devant le tribunal d'instance et le juge de l'exécution. Enfin, il apparaî t que ces mêmes juridictions voient leurs modalités de saisine fortement modernisées.

6. L'injonction de payer : l'exemple d'une procédure entièrement dématérialisée. Après une expérimentation au sein de six sites pilotes, le Ministère de la Justice a équipé tous les tribunaux d'instance et juridictions de proximité d'une nouvelle chaî ne informatique permettant d'enregistrer, de répertorier et de traiter les procédures d'injonction de payer.

Dénommé IP WEB, cet outil se révèle être aussi une chaî ne bureautique communicante dès l'origine(15).

Le procédé technique employé est celui des données structurées : l'huissier de justice, via le RPSH et la plateforme E-huissier, saisit en ligne un formulaire de requête en renseignant différents champs. Les pièces produites au soutien de la requête sont jointes sous format dématérialisé ou numérisé selon leur origine. Le juge d'instance ou de proximité traite directement la demande sur écran. Une fois rendue, l'ordonnance est mise à la disposition de l'huissier de justice et le traitement de l'exécutoire intervient également par voie électronique.

Cette procédure fait donc l'objet d'une dématérialisation particulièrement aboutie puisqu'à l'exception de la minute de l'ordonnance, tout support papier disparaî t.

A l'instar de tout protocole de communication électronique, le procédé mis en place repose sur une mutualisation des tâches. C'est ainsi que le greffe gagne un temps substantiel lié à la suppression de tout enregistrement des requêtes mais aussi au traitement en temps réel qui est fait de la requête par le juge. Ce temps épargné peut être redéployé vers d'autres services.

L'accélération de la procédure résultant de l'utilisation d'échanges électroniques et la mise à disposition de l'huissier de justice de l'ordonnance en temps réel sont les gages d'une plus grande attractivité de cette procédure simplifiée, ce qui laisse augurer un recours plus fréquent de la part des créanciers à l'injonction de payer dématérialisée présentée par officier ministériel. L'évolution dans la répartition des modes de saisine du tribunal d'instance qui s'ensuivra aura pour effet mécanique une accélération du recouvrement de l'impayé au sein duquel l'obtention du titre prend une part non négligeable. En outre, l'emploi plus courant d'une procédure simplifiée entraî nera tout aussi mathématiquement une réduction de la charge de travail pesant sur les juridictions, ce temps pouvant être redéployé sur d'autres tâches.

Bien entendu, cet effort d'amélioration de l'efficacité du service rendu au justiciable et de modernisation des circuits d'échanges, nécessite une réflexion commune et une conduite concertée du changement par des juridictions et des professionnels rendus davantage interdépendants les uns des autres par la transmission de l'information par voie électronique.

Il importe également que le juge, sans préjudice de l'appréciation qu'il fera de chaque espèce, communique aux huissiers de justice la liste des documents a priori nécessaires au succès d'une requête, nature d'affaire par nature d'affaire. Ainsi éclairé sur ce point, l'huissier de justice est alors mis en mesure d'exiger de son client les pièces requises par le juge. Le créancier transmet alors à l'huissier de justice pour être jointes à la requête, les pièces utiles, en distinguant celles qui doivent être préalablement numérisées parce qu'établies sur support papier, de celles d'ores et déjà dématérialisées en particulier lorsqu'il s'agit d'un justiciable « institutionnel ». On pense aux grandes entreprises, aux banques, aux sociétés de crédit.

La transmission avec la requête, dès sa présentation, de tous les documents nécessaires à son succès, est propre à accélérer encore l'obtention du titre, puisque peuvent ainsi être évités des rejets ou des demandes de pièces complémentaires.

7. Le dépôt d'une requête dématérialisée : une modélisation des demandes induite par la voie électronique. Le réseau sécurisé créé par la profession d'huissier de justice et agréé par l'arrêté du 28 août 2012 autorise ce professionnel à transmettre une requête par voie électronique au tribunal d'instance comme au juge de l'exécution, juridictions concernées par la convention du 15 décembre 2011(16).

Comme pour tout envoi, remise ou notification émanant de cet officier ministériel, l'huissier de justice doit apposer sa signature électronique sur l'envoi(17).

[p. 225] Rappelons que l'article premier du décret n° 2010-434 du 29 avril 2010(18) lui attribue la signature électronique en prescrivant que « vaut signature, pour l'application des dispositions du Code de procédure civile aux actes que les auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties notifient ou remettent à l'occasion des procédures suivies devant les juridictions des premier et second degrés, l'identification réalisée, lors de la transmission par voie électronique, selon les modalités prévues par les arrêtés ministériels pris en application de l'article 748-6 du Code de procédure civile ». Il s'agit en l'occurrence, pour la profession d'huissier de justice, de l'arrêté du 28 août 2012.

L'huissier de justice, muni du certificat RPSH visé à l'article 5 de l'arrêté du 28 août 2012, dispose donc de la signature électronique.

Signée, la requête électronique est mise à la disposition de la juridiction au travers du module e-juridiction de la plateforme E-huissier, véritable « main tendue » de cette profession vers les tribunaux. Puis, elle est traitée par le juge du tribunal d'instance ou le juge de l'exécution.

La dématérialisation des procédures n'offre pas seulement un gain de temps induit par l'abolition du délai de transmission d'une requête. Elle doit également améliorer la qualité de l'échange d'informations entre juridiction et auxiliaire de justice. Il doit pour ce faire, être consenti un effort de modélisation des requêtes transmises par voie électronique, permettant à l'huissier de justice d'éviter des risques d'erreur, et au juge de simplifier la lecture et le traitement des demandes.

8. La prise de date et le placement des assignations délivrées par voie électronique : la modernisation des modalités de saisine d'une juridiction. Les procédures devant le tribunal d'instance et le juge de l'exécution, orales et sans représentation obligatoire, sont quasiment identiques.

Il en est de même de leur saisine par voie d'assignation à date fixe, qui constitue le mode de liaison du contentieux le plus fréquent devant ces deux juridictions.

Traditionnellement, copie de l'assignation sur support papier est déposée au greffe par l'huissier de justice ou par l'avocat lorsque le demandeur a confié à celui-ci la défense de ses intérêts.

La dématérialisation des échanges entre juridictions et huissiers de justice apporte une plus forte dynamique aux procédés traditionnels et offre davantage de souplesse pour tous les utilisateurs, moyennant une gestion plus prévisionnelle des audiences comme du traitement des procédures.

La juridiction, tribunal d'instance ou juge de l'exécution, dispose sur le module e-juridiction d'un agenda de ses audiences sur une période de temps considérée, une période d'ouverture.

Chaque audience au cours de cette période est formatée par la juridiction qui définit un nombre de places disponibles pour les affaires nouvelles et les assignations délivrées en conséquence, nature d'affaire par nature d'affaire.

Par exemple, pour une audience donnée du juge de l'exécution, tant de places seront réservées aux contestations de mesures conservatoires, à celles relatives aux saisies-attribution, à des demandes de liquidation d'astreinte, etc.

Grâce au RPSH, l'huissier de justice a à tout moment et directement accès à ces informations et jouit donc d'une parfaite lisibilité en temps réel des places encore disponibles pour chaque audience de la période d'ouverture, pour la nature de l'affaire pour laquelle il lui incombe de délivrer une assignation.

Il réserve aussitôt une date pour pouvoir saisir la juridiction de ce litige en prenant soin de mentionner la nature de celui-ci sur l'agenda partagé.

Une fois la date réservée, l'assignation pourra être signifiée.

Délivrée par voie électronique selon les modalités prévues au décret n° 2012-366 du 15 mars 2012(19), son placement résultera d'une mise à la disposition par la même voie auprès de la juridiction saisie.

Cette fonctionnalité « demande de date et placement de l'assignation dématérialisée » induit une gestion nécessairement prévisionnelle de ses audiences par la juridiction à laquelle il appartient d'anticiper les volumes d'affaires prévisibles sur une période de temps donnée. Cette prévision est construite à partir des éléments statistiques dont dispose le tribunal et qui lui permettent de moduler la programmation des agendas au fur et à mesure de l'évolution de son contentieux.

Cette prévision faite, la juridiction peut alors escompter une meilleure gestion dans la préparation puis le jugement des litiges, en évitant des à-coups trop importants liés à une absence de toute régulation dans le nombre de saisines. Le contentieux par audience bénéficiera également d'une répartition davantage équilibrée par types de contestations.

Cette rationalisation dans la gestion des procédures permise par la communication électronique pallie l'absence de toute mise en état devant le tribunal d'instance ou le juge de l'exécution qui ne peuvent équilibrer la charge de leurs audiences faute de disposer de l'instrument juridique de la clôture et fixation. Cette régulation des audiences s'effectue donc par anticipation au stade de la saisine.

De surcroî t, on notera que le temps gagné par la juridiction est conséquent puisque le greffe n'a plus de raison [p. 226] d'être sollicité physiquement ou par téléphone pour obtenir une date d'audience.

L'huissier de justice économise lui aussi du temps car il dispose désormais d'un accès direct et permanent à une information partagée en temps réel, sans qu'il ait besoin d'entrer en contact avec le greffe, l'échange verbal ou téléphonique demeurant réservé aux urgences ou aux cas qui peuvent poser difficulté.

Cette information est, de la même manière, partagée entre l'officier ministériel et son client demandeur à l'instance.

9. Ainsi donc, le réseau privé sécurisé construit par la Chambre nationale des huissiers de justice élargit à de nouvelles juridictions le périmètre d'une communication électronique judiciaire jusque là réservée au tribunal de grande instance et à la cour d'appel.

Mais les efforts consentis dans ce domaine par la profession d'huissier de justice vont plus loin. Avec la signification électronique, c'est l'acte lui-même qui est, à présent, dématérialisé ; pas seulement la transmission de l'information entre acteurs du procès.

Plus encore, la présence de l'huissier de justice dans l'électronique judiciaire offre un autre élargissement à une dématérialisation des procédures qui était jusqu'ici circonscrite à un dialogue entre le juge et l'avocat. Les échanges à l'occasion d'une procédure juridictionnelle deviennent tripartites.

B. L'organisation d'échanges par voie électronique entre huissiers de justice et avocats

10. La fonctionnalité de prise de date induit l'organisation de nouvelles modalités d'échanges entre les huissiers de justice et les avocats à l'occasion de la saisine du tribunal d'instance ou du juge de l'exécution. La signification par voie électronique offre, quant à elle, aux avocats une alternative entre la notification directe et la signification des actes qu'ils échangent entre eux par voie électronique.

11. Une organisation concertée des modalités de saisine de la juridiction. Il est certain que la réservation d'une date d'audience par l'huissier de justice devant le tribunal d'instance ou le juge de l'exécution n'a qu'un effet limité si n'est pas mise en œuvre une concertation entre la juridiction, les huissiers de justice et les avocats. En effet, si la représentation par avocat devant ces instances n'est pas obligatoire, il n'en demeure pas moins que nombre de demandeurs recourent à l'assistance d'un conseil. C'est même la majorité des cas auprès de bien des tribunaux. Or, on ne peut concevoir des modalités de saisine de la juridiction à deux vitesses : avec prise de date préalable quand le demandeur n'est pas assisté par avocat, sans prise de date dans le cas inverse. Une telle coexistence des procédés priverait la juridiction de toute capacité de maî trise du contentieux par audience, voire compliquerait la tâche de chacun. C'est pourquoi il est indispensable que juridiction, huissiers de justice et avocats conviennent d'un circuit d'échanges propre à donner à ce nouvel outil sa pleine efficacité, quelque soit le choix du demandeur de recourir ou non à un avocat, et qui garantisse aux professionnels une parfaite lisibilité des places disponibles aux audiences.

Il est donc proposé de définir des modalités d'échange de l'information et de répartition matérielle des tâches autour de la fonctionnalité prise de date(20).

L'étude d'huissier de justice et le cabinet d'avocat conviennent d'une date d'audience parmi celles qui sont disponibles sur l'agenda partagé, puis l'huissier de justice réserve la date choisie avant de délivrer l'assignation dont le projet lui aura été transmis par voie électronique par l'avocat.

Une fois l'assignation à date fixe délivrée par voie électronique, elle sera placée par l'huissier de justice.

Ce processus ainsi défini se cantonne aux seules modalités, celles relatives à l'échange de l'information et à la réservation préalable d'une date. Il n'affecte en rien le périmètre du droit ni le cœur de métier de chaque professionnel.

Il permet, en réalité, d'offrir en partage à tous les auxiliaires de justice concernés - huissiers de justice mais aussi avocats - une nouvelle avancée de la communication électronique judiciaire autorisée par la mise en service du réseau privé sécurisé huissier.

D'évidence, la plus-value apportée par ce procédé qui devient commun à tous les intervenants au procès, suppose réflexion commune et concertation entre les professions judiciaires au sein du ressort.

12. L'acte du palais électronique. Parmi les différentes notifications admissibles, le Code de procédure civile réserve une place particulière à celles entre avocats puisqu'en vertu de l'article 671 les dispositions relatives tant à la signification qu'à la notification des actes en la forme ordinaire ne sont pas applicables à ce type d'échange de l'information.

Rédigés au début des années 1970, à un moment où la transmission d'un acte judiciaire par voie électronique n'était pas imaginable, les articles 672 et 673, qui n'ont subi aucune modification depuis la promulgation du nouveau Code de procédure civile, offrent à l'avocat deux procédés spécifiques pour communiquer un acte sur support papier à un confrère.

D'une part, une signification, mais soumise à un régime juridique bien particulier puisqu'elle est constatée par l'apposition du cachet et de la signature de l'huissier de justice sur l'acte et sa copie avec l'indication de la date et du nom de l'avocat destinataire. La pratique a dénommé ce procédé « acte du palais » puisque s'il s'agit bien d'une signification, elle n'est cependant possible qu'entre praticiens.

[p. 227] D'autre part, une notification directe qui s'opère par la remise de l'acte en double exemplaire à l'avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l'un des exemplaires après l'avoir daté et signé.

La commodité a naturellement conduit les avocats à utiliser très largement l'acte du palais, tandis que la notification directe était davantage employée en cas d'urgence et plus fréquemment sur l'audience.

Notons que ces deux types de notification des actes sont concernés par le périmètre de la communication par voie électronique puisque comme tels, ils sont expressément visés à l'article 748-1 du Code de procédure civile.

13. Dans les faits, les deux protocoles de communication électronique conclus par les avocats et les huissiers de justice ont progressivement permis de concrétiser le vœu du législateur de pouvoir transmettre signification et notification directe par voie électronique.

Dans leurs échanges entre eux par la voie du réseau privé virtuel avocats (RPVA), ceux-ci peuvent communiquer à leurs contradicteurs des actes tels que les conclusions, les actes de constitution ou les bordereaux de communication de pièces.

Dès lors que les avocats ont été pourvus de la signature électronique par le décret du 29 avril 2010(21), ces échanges correspondent à une notification directe par voie dématérialisée.

Mais s'il souhaitait recourir à la signification d'un acte à son confrère, l'avocat devait jusqu'à présent malgré tout conserver le papier, qui était le seul support autorisé pour signifier un acte du palais.

Tel n'est plus le cas depuis l'entrée en vigueur du décret du 15 mars 2012 relatif à la signification des actes d'huissier de justice par voie électronique, c'est-à-dire à compter de la parution de l'arrêté du 28 août 2012.

14. La signification électronique des actes entre avocats est l'une des formes de la signification par voie électronique dont le décret du 15 mars 2012 dote la profession d'huissier de justice.

L'article 9 de l'arrêté du 28 août 2012 précise que pour permettre aux huissiers audienciers d'accomplir les actes mentionnés à l'article 672 du Code de procédure civile par voie électronique, les avocats du ressort du tribunal de grande instance ou de la cour d'appel déposent leurs actes aux fins de transmission à travers un portail dédié mis à leur disposition par la Chambre nationale des huissiers de justice. La même voie est offerte aux avocats chargés de la représentation des parties devant le tribunal de commerce.

L'huissier de justice transmet l'acte à l'avocat destinataire et au greffe de la juridiction, lesquels peuvent accéder à un coffre-fort électronique par un système d'authentification par login/mot de passe ou par certificat d'authentification.

Pour éviter tout risque d'oubli de consulter un acte, le destinataire est averti de sa remise dans son coffre-fort électronique par le moyen d'un courrier électronique ou d'un message SMS expédié à travers la plate-forme dédiée.

Ainsi, l'avocat se voit restituer le choix dont il disposait naguère de notifier par signification ou par voie directe un acte à son confrère lorsque le document était établi uniquement sur support papier.

Désormais, il dispose de nouveau du même choix, mais pour une transmission dématérialisée dans les deux cas.

15. La signification électronique de l'acte du palais par l'huissier de justice garantit à l'avocat la même sécurité juridique inhérente à toute transmission d'un acte par l'intermédiaire de l'officier ministériel, dont la certitude de la transmission et de sa date ne peut être mise en doute.

Elle lui permet de ne pas avoir à gérer un portefeuille d'actes à communiquer et lui évite de devoir se départir d'une gestion complètement dématérialisée de la procédure pour recourir encore au papier lorsqu'il s'agit de transmettre un acte entre avocats par voie de signification.

16. La notification entre avocats sur support papier disparaî t mais l'avocat conserve toute la souplesse et les garanties tant techniques que juridiques d'un acte du palais signifié par huissier de justice qui est devenu électronique, adapté à notre temps.

Cette fiabilité technique mais aussi juridique qui résulte de la plus-value inhérente à l'intervention de l'huissier de justice, authentificateur traditionnel et incontournable de l'échange de l'information judiciaire, est enfin l'assurance d'un débat judiciaire à l'abri d'une contestation sur la certitude ou la date de la transmission des actes juridictionnels.

17. Là encore, la mise en place de ces outils nécessite une concertation entre professionnels du droit. On ne peut, en effet, moderniser nos savoir-faire en particulier au moyen de ce vecteur si nouveau qu'est la dématérialisation, qu'en animant une réflexion commune et approfondie de la conduite d'un changement fonctionnel mais aussi culturel dont nous avons maintenant l'opportunité et qui implique tous les acteurs de la chaî ne judiciaire.

Ce dialogue entre professionnels est une condition sine qua non du bénéfice que le justiciable trouvera dans nos efforts communs de modernisation.

III. Les modalités techniques de mise en œuvre de la signification par voie électronique

18. L'arrêté du l'arrêté 22 mai 2012 avait prévu les modalités permettant au destinataire de l'acte de consentir à recevoir les actes par voie électronique. Afin d'achever le dispositif, il était nécessaire de préciser les modalités techniques du processus de signification des actes par cette nouvelle voie dématérialisée. L'arrêté du 28 août lève le [p. 228] doute sur les derniers aspects techniques de ce nouveau type de signification.

19. Un dispositif sécurisé. Face à la nécessité de concilier théorie générale de la signification et exigences techniques de la communication électronique(22), l'arrêté confirme le choix de privilégier la sécurité juridique dans la transmission des actes d'huissier de justice et multiplie les garanties de suivi du processus qui repose sur la plateforme SECURACT, développée par la Chambre nationale des huissiers de justice et l'Association Droit Economique et Communication (ADEC), chargée par le CNHJ du développement d'outils informatiques destinés aux huissiers de justice. L'acte n'est pas - à l'évidence - adressé par mail au destinataire. Il est mis à la disposition du destinataire, après son scellement et signature par l'huissier de justice, dans un coffre-fort électronique placé sous la responsabilité de la Chambre nationale des huissiers de justice (art. 8). De ce premier coffre-fort, l'acte transite, via une liaison sécurisée, vers un second coffre-fort, celui du destinataire. Cette première phase, de dépôt de l'acte, génère l'envoi de deux avis techniques, instantanés, l'un vers le destinataire de l'acte, pour le prévenir qu'un acte est à sa disposition dans son espace signification(23), l'autre, de nature technique, vers l'huissier de justice. C'est donc à partir de ce message électronique que le destinataire pourra se connecter à la plateforme SECURACT et grâce au système d'identification(24) qui lui aura été fourni au moment de sa déclaration de consentement, accéder aux actes en déclenchant, par la même occasion, un deuxième avis technique qui apportera la preuve de sa prise de connaissance de l'acte et, dès lors, de la qualification de la signification à personne. C'est sur la base de ce même processus technique que l'arrêté organise la signification des actes du Palais par voie électronique (art. 9(25)), y compris devant le tribunal de commerce.

20. La spécificité des actes dénoncés à des tiers(26). L'article 10 de l'arrêté du 28 août 2012 dispose : « Les renseignements et pièces justificatives fournis par le tiers saisi en vertu d'un acte signifié par voie électronique selon l'article 59 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 susvisé sont adressés à l'huissier de justice par voie électronique par une interface mise à sa disposition par la Chambre nationale des huissiers de justice ». Cet article doit être contextualisé au regard de l'activité réglementaire récente. En effet, bien que cet arrêté soit le prolongement du décret n° 2012-366 du 15 mars 2012, il doit être également lu à l'aune du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012 relatif à la partie réglementaire du Code des procédures civiles d'exécution(27) ainsi que de l'ordonnance n° 2011-1895 du 19 décembre 2011 relative à la partie législative du Code des procédures civiles d'exécution(28). En effet, le décret n° 2012-366 a entraî né une modification de l'article 59 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 (devenu l'article R. 211-4, CPCE) relatif à la déclaration du tiers saisi en matière de saisie attribution. Ce décret précise que « si l'acte de saisie est signifié par voie électronique, le tiers saisi est tenu de communiquer à l'huissier de justice les renseignements et pièces justificatives permettant de déterminer les avoirs saisis, au plus tard le premier jour ouvré suivant la signification par voie électronique ». L'article R. 211-3 ajoute, par ailleurs, que ces renseignements devront être reproduits dans la dénonciation de la saisie faite au débiteur. Nul ne doute que la faculté de la signification par voie électronique de se déployer rapidement dépendra de son attractivité dans les procédures les plus courantes, et notamment la saisie attribution de compte bancaires, pour lesquelles elle offre des avantages certains, y compris en termes d'efficacité. D'autres procédures civiles d'exécution seront très prochainement concernées, comme la déclaration aux fins de saisie d'un véhicule terrestre à moteur (article L. 223, CPCE) auprès du nouveau Système d'Immatriculation des Véhicules (SIV)(29).

21. Observations conclusives. Après le RPVA et le RPVJ, voici donc le RPSH… La dématérialisation des procédures judiciaires est en cours et voit le rôle des huissiers de justice se renforcer. Alors que les textes parus, au cours des dernières années, en matière de communication électronique, avaient globalement négligé le rôle des huissiers de justice, le décret du 15 mars 2012 et à l'arrêté du 28 août viennent conforter leur place au sein du procès mais aussi vis-à-vis du justiciable. Plus encore, ces derniers textes, et notamment les dispositions relatives à la signification des actes du palais par voie électronique, prouvent que la dématérialisation des procédures judiciaires peut devenir un véritable vecteur de rapprochement des professionnels du droit entre eux, favorisant ainsi une véritable interprofessionnalité des métiers juridiques.