Chroniques baux janv 2014

Eric SAVAUX Professeur à l'Université de Poitiers - Équipe de recherche en droit privé (EA 1230)

Rose-Noëlle SCHÜTZ Professeur à l'Université de Poitiers - Équipe de recherche en droit privé (EA 1230)

Denis ROCHARD Maî tre de conférences HDR - Université de Poitiers Directeur de l'Institut de Droit Rural et du Master 2 Droit de l'activité agricole et de l'espace rural et du Diplôme supérieur du notariat

Centre de recherche et d'étude sur les territoires et l'environnement (EA 4237)

I. Bail en général

A. Jurisprudence

1. Validité de la clause d'indexation du loyer

Civ. 3e, 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-16.335, Bull. civ. III, à paraî tre. 

Ne viole pas l'article L112-1 du Code monétaire et financier la clause d'indexation du loyer d'un bail à usage exclusivement professionnel, dont l'ambiguïté des termes avait rendu l'interprétation nécessaire, dès lors que « les parties étaient convenues de la révision du loyer chaque année à la date anniversaire du contrat, impliquant une évolution de l'indice sur douze mois, la référence à l'indice du quatrième trimestre 1987 n'étant que l'illustration de leur volonté de prendre en compte les derniers indices publiés tant au début qu'à la fin de la période concernée par la révision ».

La clause qui prévoit « une révision annuelle impérative » a été souverainement interprété par les juges du fond comme exprimant la volonté des parties que l'indexation s'opère automatiquement chaque année à la date anniversaire de la prise d'effet de la location ».

1. La validité de principe d'une clause d'indexation du loyer inséré dans un bail d'immeuble même soumis au statut du bail commercial ou à celui du bail d'habitation principale ne fait aucun doute. À défaut d'être interdite par ces statuts, elle est en effet fondée sur la liberté contractuelle des parties. Elle est cependant soumise aux conditions de validité de droit commun de l'indexation conventionnelle tel qu'il résulte des articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financier. Sans surprise, elle doit donc, pour être valable, présenter un rapport direct avec l'activité de l'une des parties ou l'objet du contrat, l'article L. 112-2 prévoyant que lorsque la convention est relative à un immeuble bâti, son objet est réputé en relation directe avec l'indice national du coût de la construction publié par l'INSEE. Cette première condition est en général remplie par les clauses d'indexation du loyer, les parties retenant souvent, par sécurité, l'indice du coût de la construction ou l'indice de référence des loyers s'il s'agit d'un bail d'habitation ou désormais l'indice des loyers commerciaux ou l'indice des loyers des activités tertiaire pour les baux ayant pour objet des bureaux ou des locaux à usage exclusivement professionnel.

Il demeure, en revanche, des interrogations concernant la validité des clauses d'indexation ne jouant qu'à la hausse ou celles comportant un indice à base fixe : doctrine et juridictions du fond sont partagés alors que la Cour de cassation n'a pas encore clairement statué sur la validité de telles clauses. L'arrêt commenté rendu le 16 octobre 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, saisi de la validité d'une clause comportant un indice à base fixe, fondé sur l'interprétation souveraine de cette clause par les juges du fond, ne pose malheureusement pas encore de principe clair en la matière.

2. Un bail à usage exclusivement professionnel, prenant effet le 1er juillet 1988 pour une durée de 9 ans, avait été renouvelé sans qu'il ne soit rien changé aux clauses et conditions du précédent bail qui contenait une clause stipulant que « le loyer sera révisé chaque année le premier juillet. Indice de référence : 4ème trimestre 1987. Valeur 890 ». Jusqu'en 2005, aucune indexation n'ayant été appelée, le gestionnaire de l'immeuble avait alors procédé à un rappel des sommes dues par le jeu de la clause d'indexation entre juillet 2000 et juillet 2005, pour respecter les limites résultant de la prescription quinquennale de l'ancien article 2277 du Code civil

À la suite d'un commandement de payer et d'un congé délivré par le bailleur, le locataire assigne ce dernier en contestation du congé et en restitution des sommes payées au titre de la révision du loyer. Débouté par la Cour d'appel de Paris de cette demande de remboursement, le preneur forme un pourvoi devant la Cour de cassation, en se fondant sur deux moyens. À titre principal, il conteste la validité de la clause d'indexation pour violation de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier. Pour le cas où la clause serait néanmoins déclarée valable, Il critique le « rattrapage [p. 3] des loyers » de juillet 2000 à 2005, au motif que la cour d'appel en déduisant le caractère automatique de l'indexation annuelle du loyer a dénaturé les termes de la clause de révision du loyer.

3. L'article L. 112-1, alinéa 2, énonce qu'« est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision ». Autrement dit, pour être valable, l'indice de base ne peut être fixe : les parties peuvent bien choisir comme indice de référence celui du 4ème trimestre mais pas un indice définitivement daté, par exemple, comme dans l'espèce commentée, celui de l'année 1987. Ainsi, si l'indexation est annuelle, ce qui est fréquent en matière de baux commerciaux ou professionnels, et obligatoire s'il s'agit d'un bail d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 (Art. 17d), à chaque révision, le loyer variera en fonction de la différence entre l'indice de l'année précédente et celui de l'année en cours. En revanche, si l'indice de base est fixe, dès la deuxième indexation, la période de variation indiciaire retenue est d'une durée supérieure (2 ans) à celle s'étant écoulée entre les deux révisions (un an).

Cependant, si un indice de base immuable est retenu mais qu'il s'applique à chaque nouvelle révision au loyer initial, cela reviendra en principe au même que si la seule variation annuelle de l'indice avait été appliquée au loyer tel qu'il résulte des précédentes révisions. La clause sera contraire à la lettre du texte mais pas à son esprit, sauf dans quelques cas exceptionnels ou cette méthode aboutirait à la neutralisation de toutes les modifications du loyer intervenues en cours de bail résultant d'une loi de blocage, d'un avenant des parties ou d'une révision judiciaire(1). En revanche, si la variation entre un indice de base immuable et l'indice de l'année de la révision s'applique au loyer déjà révisé ou renégocié, cela entrainera une augmentation excessive et artificielle du loyer. Ainsi, dans une affaire jugée récemment par la Cour d'appel de Paris, les parties avaient modifié, par avenant, trois ans après sa fixation, le prix du loyer pour tenir compte d'une extension des locaux loués mais dès la première révision, le bailleur avait appliqué la variation entre l'indice de base fixe et l'indice de l'année prenant ainsi en compte une variation de l'indice de quatre années alors que la révision intervenait seulement un an après la fixation conventionnelle du nouveau loyer(2).

4. La Cour d'appel, dans l'affaire commentée, ne tranche pas la question de la validité des clauses retenant un indice de référence fixe mais se fonde sur l'ambiguïté des termes de la clause pour procéder à son interprétation. Elle relève que « les parties étaient convenues de la révision du loyer chaque année à la date anniversaire du contrat, impliquant une évolution de l'indice sur douze mois, la référence à l'indice du quatrième trimestre 1987 n'étant que l'illustration de leur volonté de prendre en compte les derniers indices publiés tant au début qu'à la fin de la période concernée par la révision ». La Cour de cassation qui relève l'absence de dénaturation de la clause, rejette alors sans surprise le pourvoi. L'ambiguïté de la clause n'était cependant pas évidente puisqu'elle se référait expressément à l'indice de référence fixe de l'année 1987 alors que le contrat prévoyait une révision annuelle. Par sa lettre au moins, elle était contraire à l'article L. 112-1. Néanmoins, le bailleur avait appliqué la clause comme s'il s'agissait d'un indice de référence glissant en retenant pour chaque révision annuelle l'indice de base du 4ème trimestre de l'année précédente. C'est donc sans doute de l'application effective de la clause que la Cour d'appel déduit la volonté des parties de ne pas retenir un indice de base fixe. Ce raisonnement permet de sauver la clause d'indexation de la nullité mais il ne tient que si l'on veut bien admettre que la clause est ambiguë. Il s'agit alors d'une interprétation in favorem telle que le préconise l'article 1157 du Code civil.

Cette décision de la Cour d'appel de Paris peut aussi être considérée comme les prémisses de la solution qu'elle va ensuite retenir dans une série d'arrêts d'avril 2012(3). Elle y abandonne l'application littérale de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier. Elle considère qu'en principe ce texte n'interdit pas la prise en considération d'un indice de base fixe mais ne prohibe que la clause d'indexation organisant une distorsion entre la période de variation de l'indice et la durée s'écoulant entre deux révisions. Comme le dit un auteur : « La sanction est ainsi subordonnée à une condition supplémentaire qui lui permet de trier les bonnes et les mauvaise clauses »(4). Elle écarte donc l'application stricte de l'article L. 112-1, chaque fois que l'on aboutit à un loyer révisé identique, que l'indice de base soit fixe ou non(5).

5. L'arrêt rendu par la Cour de cassation ne peut pas, sans une extrapolation excessive, être considéré, comme approuvant cette dernière jurisprudence de la Cour de Paris puisque l'arrêt qui était soumis à son appréciation, fondé sur l'ambiguïté de la clause, aboutissait à considérer que les parties n'avaient pas voulu retenir un indice de référence à base fixe mais bien un indice glissant. Il faut donc attendre que la Cour de cassation statue sur les pourvois postérieurs formés contre certaines des décisions plus récentes rendues par la Cour d'appel de Paris, pour savoir si elle approuvera l'interprétation que celle-ci fait de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier.

Quoiqu'il en soit, même si la Cour de cassation admet que ce texte n'interdit pas en principe le recours à un indice de référence immuable sauf distorsion entre la période de variation de l'indice et la durée s'écoulant entre deux révisions, les praticiens seraient bien avisés de ne plus proposer une telle indexation. En effet, soit son application aboutira au même résultat que celle résultant de l'application d'un indice glissant, soit elle aboutira à un résultat différent qui risque bien de constituer la distorsion prohibée ; le locataire pourra alors demander la nullité de la clause d'indexation et la restitution de l'indu. Pourquoi prendre un tel risque alors qu'il ne peut jamais en résulter un véritable avantage pour le bailleur ?

R.-N.S.

[p. 4] 2. Colocation - Effets - Congé de l'un des copreneurs - Absence de clause de solidarité - Possibilité pour l'un des copreneurs de donner congé seul (oui) - Effets du congé - Poursuite du bail sur l'ensemble des locaux avec le copreneur restant - Obligation de payer l'intégralité du loyer en contrepartie de la jouissance de l'ensemble des locaux (oui) (1re espèce).

Colocation - Effets - Départ de l'un des copreneurs sans congé - Effets - Absence de clause de solidarité - Indivisibilité de la dette de loyers (non) - Obligation du locataire restant de payer l'intégralité du loyer (non) (2e espèce).

Civ. 3e, 30 octobre 2013, pourvoi n° 12-21973, Bull. civ. III, à paraî tre

Ayant à bon droit retenu que, le bail disposant que le preneur avait la faculté de résilier le contrat de location à tout moment sous réserve d'un préavis et ne prévoyant aucune solidarité entre les locataires, un seul des copreneurs pouvait donner valablement congé et le bail se poursuivait alors avec le locataire restant sur l'ensemble des locaux avec obligation de payer l'intégralité du loyer en contrepartie de leur jouissance, la cour d'appel, relevant que la locataire restante jouissait de l'intégralité des locaux, en a exactement déduit qu'en suite du congé délivré par l'un des colocataires, le contrat était poursuivi avec la seule locataire restante qui devait payer l'intégralité du loyer.

Civ 3e, 30 octobre 2013, pourvoi n° 12-21.034, Bull. civ. III, à paraî tre

Viole les articles 1202 et 1222 du Code civil, l'arrêt qui, pour condamner le colocataire restant dans les lieux après le départ sans congé de l'autre copreneur, au payement de la totalité d'un solde de loyers échus, retient qu'une dette de loyer est indivisible entre des colocataires, dans la mesure où elle est la contrepartie du droit de jouissance des biens donnés à bail, droit qui est lui-même indivisible, alors que le bail ne stipulait pas la solidarité entre les preneurs et que la dette de loyer n'est pas par elle-même indivisible.

6. Ces deux arrêts rendus par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 30 octobre dernier statuent sur l'une des questions les plus importantes posées par une situation elle-même assez complexe(6) : l'étendue de l'obligation de payer le loyer en cas de colocation dans le cas particulier du départ de l'un des locataires et de maintien dans les lieux de l'autre. Ils mettent en œuvre des notions fondamentales du régime des obligations - la solidarité et l'indivisibilité - pour aboutir à des résultats à première vue contradictoires qui s'expliquent en réalité par la différence d'approche de la question et de terrains sur lesquels les juges se sont situés pour trancher la difficulté.

7. Au départ, la situation est la même dans les deux cas. Une société civile immobilière consent un bail professionnel à deux colocataires. Par la suite, l'un d'entre eux quitte les lieux, en délivrant régulièrement congé dans le premier cas, sans congé mais, apparemment, avec l'accord du bailleur dans le second. L'autre locataire reste dans les lieux, celui-ci donnant à son tour congé environ deux ans plus tard dans l'affaire ayant donné lieu au second arrêt. Cela ne modifie cependant pas fondamentalement les données du problème. Dans les deux cas, le bailleur réclame au colocataire resté dans les lieux le payement de l'intégralité des loyers dus après le départ du copreneur, la demande étant simplement limitée, par la force des choses, à l'arriéré de loyers dus entre le départ du premier locataire et celui du second dans l'arrêt n° 12-21.034. Dans les deux affaires, les juges du fond accueillent la demande du bailleur et condamnent le locataire resté dans les lieux à payer l'intégralité des loyers dus pour le temps où il a continué à jouir de l'immeuble. Sur pourvoi formé par les locataires condamnés, la troisième Chambre civile rend un arrêt de rejet dans l'une des affaires (n° 12-21973), de cassation dans l'autre (n° 12-21034). A priori, cela pourrait inciter à croire que la troisième Chambre civile juge, le même jour, d'un côté, que le colocataire resté dans les lieux doit l'entier loyer, de l'autre qu'il ne peut pas être condamné à le payer, instaurant ainsi une contradiction au sein de sa jurisprudence. Tel n'est évidemment pas le cas. Il existe des raisons qui rendent les décisions parfaitement justifiées et cohérentes.

8. Avant de les examiner, il faut s'arrêter un instant sur un préalable important, évoqué par le premier arrêt, qui n'est pas au cœur du contentieux vidé par les arrêts mais qui intéresse grandement la pratique des huissiers de justice. Il consiste à savoir dans quelle mesure des colocataires peuvent donner congé, plus précisément de déterminer si l'un d'entre eux peut le faire seul. Sur ce point, dans l'affaire n° 12-21973, le locataire resté en place soutenait que dès lors que le bail ne prévoyait pas de possibilité de résiliation partielle par l'un des copreneurs, celui qui donne congé en cours de bail reste tenu du paiement de sa part de loyer nonobstant l'absence de clause de solidarité. La troisième Chambre civile lui rétorque que le bail disposant que le preneur avait la faculté de résilier le contrat à tout moment et ne prévoyant aucune solidarité entre les locataires, un seul des copreneurs pouvait donner valablement congé et le bail se poursuivait alors avec le locataire restant sur l'ensemble des locaux avec obligation de payer l'intégralité du loyer en contrepartie de leur jouissance. La motivation est mêlée de cotitularité du bail et de solidarité, de la possibilité de donner congé pour l'un des colocataires et de ses effets sur l'obligation de payer le loyer de l'autre. Il faut clarifier.

En principe, la solidarité passive ne constitue qu'une modalité de l'obligation qui empêche la division de la dette entre les codébiteurs et permet au créancier de réclamer le paiement à n'importe lequel d'entre eux. Elle concerne donc exclusivement les obligations pesant sur les locataires : en pratique, le paiement du loyer, des charges et des autres sommes qui pourraient être dues par les locataires, parfois l'ensemble des obligations découlant du bail, encore que pour certaines d'entre elles la stipulation de solidarité soit inutile s'agissant d'obligations indivisibles(7). En tout cas, la stipulation de solidarité n'affecte en aucune manière [p. 5] la possibilité de donner congé, laquelle dépend exclusivement de la convention des parties ou des dispositions de la loi(8). S'agissant, en l'espèce, d'un bail professionnel, il n'y a pas de dispositions impératives régissant le congé du locataire(9). Les parties étaient donc libres de prévoir que le locataire pouvait donner congé à tout moment. L'existence de cette stipulation claire semble, à première vue, rendre largement assez vain l'argument du copreneur resté en place invoquant l'absence de prévision d'une faculté de résiliation partielle du bail. En présence de la clause précitée, ce silence du contrat n'interdisait évidemment pas au copreneur de résilier le bail. Son congé mettait fin au bail pour ce qui le concerne : il ne pouvait plus prétendre à la jouissance des lieux et, corrélativement, il n'était plus tenu des obligations en découlant, particulièrement du paiement des loyers(10).

Mais à vrai dire, le copreneur resté dans les lieux ne contestait pas la possibilité pour son colocataire de mettre fin au bail ; il en critiquait seulement les effets tirés à son égard par les juges du fond.

9. Sur ce point, l'auteur du pourvoi soutenait que la cour d'appel aurait ajouté aux termes clairs et précis du bail et violé l'article 1134 du Code civil en énonçant que la solidarité entre les locataires n'étant pas prévue, chacun pouvait valablement donner congé à charge pour l'autre de payer l'intégralité des loyers. La Cour lui répond que, compte tenu des stipulations précédemment analysées, un seul des copreneurs pouvait donner valablement congé et le bail se poursuivait avec le locataire restant sur l'ensemble des locaux avec obligation de payer l'intégralité du loyer en contrepartie de leur jouissance. La troisième Chambre civile fait produire ici un effet presque mécanique au congé du locataire, qui mériterait d'être dans certains cas précisé ou nuancé, ainsi que certaines précisions des motifs le suggèrent.

10. Sur le principe, la solution est bonne. Dès lors que l'un des colocataires met fin régulièrement au bail, il n'en reste plus qu'un qui jouit de l'intégralité des lieux et qui doit donc payer en contrepartie l'intégralité du loyer, même si le bail prévoyait expressément un payement partiel, tel celui de la moitié du loyer en l'espèce. Il faut quand même noter que se produit alors, par l'effet du congé du colocataire partant, une modification substantielle du bail, tant pour ce qui concerne la jouissance des lieux - leur intégralité au lieu de seulement une partie antérieurement - que le prix du bail - la totalité du loyer au lieu d'une fraction -, qui mériterait d'être analysée plus avant, notamment pour ce qui concerne la faculté de l'imposer au colocataire ou, vu sur l'autre versant, l'obligation pour lui de la subir.

À moins de considérer que la volonté - le consentement tacite- du colocataire restant se trouve dans l'un deux comportement suivants : au début de la relation, l'acceptation de la colocation avec une clause de résiliation unilatérale au profit de chaque locataire ; à son terme, le fait de jouir seul de l'ensemble des locaux loués. En effet, la troisième Chambre civile affirme clairement que l'obligation de payer l'intégralité du loyer est la contrepartie de la jouissance de l'ensemble des locaux et elle note que les juges du fond ont constaté que la preneur restant jouissait de l'intégralité des locaux et qu'ils en ont déduit exactement que le bail s'était poursuivi avec le seul colocataire n'ayant pas donné congé, qui devait donc payer l'intégralité du loyer. Autrement dit, l'obligation au tout du locataire restant -pour ne pas évoquer la poursuite du bail même - paraî t subordonnée à une condition essentielle : que le locataire ait la jouissance de la totalité des locaux. La condition paraî t a priori mal formulée car, en cas de colocation, les copreneurs ne jouissent-ils pas ensemble de la totalité des locaux justement ? Ne faudrait-il pas invoquer plutôt une jouissance privative, exclusive, au lieu d'une jouissance commune ou partagée ? La formule serait sans doute plus exacte pour décrire l'absence de concurrence de la jouissance sur l'ensemble du bien. Mais en pratique, on sait bien que la colocation d'un immeuble plus ou moins vaste s'accompagne en réalité d'une division, d'une attribution des parties aux différents colocataires. Dans un bail d'habitation : à Paul la chambre de droite, à Jaques celle de gauche, à tout deux l'entrée, la cuisine et la salle de bains. Pour un bail professionnel entre avocats, comme en l'espèce : à Maî tre X, le bureau sur la rue, à Maî tre Y, celui sur cour, ensemble, les locaux du secrétariat et des archives. Quid, alors si le copreneur restant n'a pas la jouissance de la partie de l'immeuble qu'il n'occupait pas personnellement ? Sans doute faut-il distinguer comme le suggère certains aspects de l'arrêt dans le détail desquels il n'est pas possible d'entrer. Si la privation de jouissance d'une partie de l'immeuble n'est pas le fait du copreneur restant, mais celui du bailleur ou, moins évidemment du partant, sans doute celui-ci ne peut-il pas être tenu au tout. Si, au contraire, elle lui est imputable, parce qu'il n'utilise pas ces locaux, ce n'est pas une cause de libération partielle. Après le congé du copreneur, le locataire restant a, en vertu du bail dont il est désormais seul titulaire, la possibilité de jouir de l'intégralité des locaux. S'il ne le veut pas ou ne le peut pas, il lui appartient, comme l'on dit les juges du fond dans l'une des deux affaires, de trouver un autre locataire ou de donner congé.

La situation du locataire restant n'est donc pas encore totalement élucidée. Retenons quand même que, pour la troisième chambre civile, l'obligation du colocataire restant de payer l'intégralité du loyer est apparemment subordonnée à la jouissance de l'ensemble des locaux. L'exigence est justifiée dans la mesure où, comme le rappelle la Cour, le loyer est la contrepartie de la jouissance. On veut bien admettre qu'à la suite du congé du copreneur, celui qui reste soit obligé de payer tout le loyer, mais c'est évidemment à condition qu'il puisse profiter de l'avantage qu'il rémunère.

11. Mais on ne saurait aller au-delà et suivre les juges du fond dans l'analyse que le second arrêt (n° 12-21.034) censure à juste titre. Ils avaient considéré que, dans la mesure où la dette de loyer [p. 6] est la contrepartie du droit de jouissance des biens donnés à bail, lui-même indivisible, elle est indivisible. L'effet est alors le même que celui de la solidarité : le créancier peut réclamer la totalité de la dette à l'un quelconque des débiteurs(11), donc, en l'occurrence l'ensemble des loyers dus après le congé au colocataire resté preneur. En jugeant de la sorte, la cour d'appel commettait une erreur importante sur les sources de l'indivisibilité et sur la portée de l'interdépendance entre les obligations découlant d'un contrat synallagmatique.

Selon l'analyse classique, l'indivisibilité est soit naturelle (ou objective), soit conventionnelle (ou subjective)(12). Dans le premier cas, l'indivisibilité découle de la nature de la chose, qui n'est pas susceptible d'exécution partielle, comme la livraison d'une toile de Maî tre. Tel n'est jamais le cas d'une obligation de somme d'argent dont le paiement peut toujours être fractionné. En dehors de cette hypothèse, l'indivisibilité peut résulter des stipulations d'une convention, qui, au demeurant, accompagne souvent une clause de solidarité afin d'éviter la division de la dette entre les héritiers des codébiteurs. En l'espèce, il n'existait aucune clause de solidarité ni d'indivisibilité. La dette était donc conjointe entre les copreneurs(13).

Le fait qu'elle soit la contrepartie d'une obligation elle-même indivisible n'y change rien. L'interdépendance des obligations découlant d'un contrat synallagmatique fonde bien certaines règles particulières : la nullité pour absence ou illicéité de la cause lorsque l'objet de l'autre obligation n'existe pas ou est contraire à l'ordre public ou aux bonne mœurs, l'exception d'inexécution, la résolution pour inexécution... Mais pas la contagion de l'indivisibilité - ni de la solidarité - d'une obligation à l'autre. Celle-ci ne dépend que des seules caractéristiques de l'objet de l'obligation concernée.

Les juges du fond avaient donc été très mal inspiré de justifier ainsi l'obligation au tout du colocataire n'ayant pas délivré congé. Ils auraient mieux fait de raisonner comme ceux de la première espèce. C'est cette différence de raisonnement qui explique le traitement opposé qui a été réservé à leurs décisions par la troisième chambre civile dont les arrêts ne sont donc pas contradictoires.

12. Ces décisions permettent donc de préciser un peu le régime de la colocation, qui fourmille encore de questions pas ou mal résolues (par exemple, sur les conditions et l'étendue des sanctions encourues par les colocataires en cas de manquement à leurs obligations par l'un d'entre eux). Ce n'est pas l'adoption éventuelle du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui permettra de les résoudre. Dans le dernier état tel qu'il résulte du vote du Sénat le projet (art. 8-1, II de la loi du 6 juillet 1989), donne une définition de la colocation(14) qu'il soumet à quelques règles impératives : respect d'un contrat-type établi par décret, possibilité de souscription d'une assurance pour compte par le bailleur, réglementation de la récupération des charges locatives, conditions de l'extinction de la solidarité du colocataire qui donne congé(15)... Rien sur les obligations du copreneur restant qui demeure, à tort, un point aveugle de la colocation, le sort de celui qui reste méritant (au moins) autant d'attention que celui de celui qui part.

E.S.

II. Baux d'habitation et baux à usage mixte professionnel et d'habitation

A. Jurisprudence

1. Bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 - Décès du locataire - Transfert du bail au conjoint survivant (art. 14, L. 6 juillet 1989) - Conditions - Transfert automatique (non) - Nécessité d'une demande du conjoint survivant.

Civ. 3e, 10 avril 2013, pourvoi n° 12-13.225, Bull. civ. III, à paraî tre ; AJ famille 2013, p. 313, obs. Levillain ; L'essentiel droit de l'immobilier et de l'urbanisme, 1er juin 2013, n° 6, p. 6, obs. B. Vial-Pedroletti ; L'essentiel droit de la famille et des personnes, 13 juin 2013, n° 6, p. 5, obs. Douville.

Au décès du preneur le bail est transféré au conjoint survivant qui n'habite pas dans les lieux à condition qu'il en fasse la demande. Ayant relevé que l'épouse du locataire n'avait jamais occupé les lieux, n'était pas cotitulaire du bail et avait autorisé le notaire et la bailleresse à débarrasser et à reprendre l'appartement, démontrant ainsi son intention non équivoque de ne pas occuper le logement litigieux, la cour d'appel en a exactement déduit que le bail avait été résilié par le décès du locataire.

13. Bien qu'un peu ancien, cet arrêt doit être signalé en raison de l'importance et de la nouveauté de la solution qu'il énonce, concernant les conditions de la transmission du droit au bail au conjoint survivant du locataire. Quelques imprécisions et risques de confusion liés à sa motivation doivent être également écartés pour en cerner exactement la portée.

14. En l'espèce, un homme, séparé de sa femme depuis une vingtaine d'années, prend à bail un logement en 1995. Il décède onze ans plus tard. Soutenant que le bail avait été automatiquement transféré à son épouse en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, la SCI bailleur adresse à celle-ci un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis l'assigne en constatation de la résolution du bail, payement des [p. 7] loyers arriérés et d'une indemnité d'occupation. Les juges du fond ne font pas droit à cette demande et le pourvoi intenté par le bailleur est rejeté par le présent arrêt. À première vue, on se dit que la justice et la morale ont triomphé : qu'une épouse séparée de son mari depuis plus de trente ans ne puisse pas se voir imposer le transfert du bail, dont elle ne veut pas, par le propriétaire qui manipule la loi à son avantage, voilà qui réjouit le cœur et l'esprit. Mais il faut être sûr que c'est bien de cela qu'il s'agit et que le bailleur ne s'est tout simplement pas contenté d'invoquer une disposition peut-être mal adaptée à certaines situations. Tout dépend donc du contenu et de l'interprétation des textes applicables. De ce point de vue, l'arrêt du 10 avril 2013 paraî t, à première vue, conforme à l'esprit de la loi, mais un peu moins à sa lettre. Mais, en réalité, celle-ci est moins claire qu'il n'y paraî t et la solution que la troisième chambre civile énonce peut être considérée comme lui étant aussi fidèle.

15. Deux dispositions régissent le transfert du bail au conjoint du preneur décédé. Elles ont toutes deux été invoquées par le bailleur, l'une en contrepoint de l'autre afin de justifier le transfert automatique du bail qu'il soutenait.

La première est l'article 1751, alinéa 3 du Code civil, ajouté par la loi du 3 décembre 2001, qui prévoit qu'en cas de décès d'un des époux, le conjoint survivant cotitulaire (en application de l'alinéa 1er) du droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation des deux époux, dispose d'un droit exclusif sur celui-ci, sauf s'il y renonce expressément.

La seconde est l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 qui dispose que « lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré : - au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du Code civil ».

En présence d'un bail portant, comme dans l'affaire ici jugée, sur un immeuble à usage exclusif d'habitation, au décès de l'un des époux, c'est donc de deux choses l'une : ou bien le conjoint survivant occupe effectivement les locaux avec l'autre, et c'est l'article 1751 qui s'applique. Ou bien l'époux survivant ne cohabitait pas dans les lieux avec le précédé, et c'est l'article 14 de la loi qui peut fonder le transfert du bail à son profit. En l'espèce, il n'y avait aucune hésitation à ce sujet : les époux étaient séparés depuis une trentaine d'années et la femme n'avait jamais habité dans l'appartement. L'article 1751 était donc hors de cause, comme le disait à juste titre le bailleur. L'arrêt ne lui donne pas tort sur ce point, même si, s'agissant d'une décision de rejet, il ne comporte pas de visa et s'il n'indique pas expressément le texte qu'il applique. Il n'y a guère de doute qu'il s'agit de l'article 14 de la loi de 1989.

Reste donc à déterminer dans quelles conditions le transfert du bail a lieu au conjoint survivant en application de ce texte. Le bailleur soutenait que le bail est transféré « de plein droit » au conjoint survivant - donc, sans qu'il ait à accomplir aucune formalité - et qu'il lui appartient donc de donner congé au bailleur s'il ne veut pas continuer le bail. La troisième chambre civile lui oppose « qu'au décès du preneur, le bail est transféré au conjoint survivant qui n'habite pas dans les lieux à condition qu'il en fasse la demande ».

16. En énonçant ce principe, la troisième Chambre civile indique très clairement, pour la première fois, dans quelle condition se produit le transfert de bail prévu par l'article 14 de la loi de 1989. En effet, la référence expresse au conjoint qui n'habite pas dans les lieux confirme que c'est bien ce texte que la Cour applique et que la solution qu'elle énonce ne vaut pas pour l'article 1751 du Code civil.

En exigeant clairement une demande du bénéficiaire désigné par la loi, l'arrêt met fin à un certain désordre régnant au sein des juridictions du fond qui s'étaient divisées sur la question(16) et paraî t même aller contre une décision antérieurement rendue par elle qui pouvait suggérer le contraire(17).

17. Qu'est-ce qui permet donc à la Cour de cassation d'affirmer aujourd'hui catégoriquement qu'il faut que le conjoint survivant demande le transfert du bail ?

Le principal argument paraî t bien être l'esprit de la loi auquel la plupart des commentateurs de l'arrêt font appel. Le législateur a voulu que l'époux survivant qui n'est pas titulaire du bail et qui n'occupe pas les lieux puisse, s'il le souhaite, s'installer dans le logement qu'occupait son conjoint, pas que le bailleur puisse le contraindre à le faire (ou à donner congé) s'il n'en a pas envie. L'espèce rapportée est d'ailleurs emblématique des extrémités auxquelles on pourrait aboutir en imposant le transfert puisqu'il s'agissait d'un époux séparé depuis plus de trente ans de son conjoint, n'ayant jamais occupé le logement et ayant assez clairement manifesté son intention de ne pas occuper l'immeuble.

La plupart des commentateurs ont également fait observer qu'en revanche la solution n'était peut-être pas absolument fidèle à la lettre du texte. Son impérativité a été signalée. En énonçant que « le contrat de location est transféré », l'article 14 imposerait cette mutation que l'époux survivant n'aurait pas à solliciter, et même qu'il ne pourrait pas éviter(18).

Mais l'article 14 évoque bien par ailleurs l'existence d'une demande. Chacun sait, en effet, que le conjoint survivant n'est pas le seul à pouvoir bénéficier du transfert du bail. La loi prévoit au contraire une assez longue liste de bénéficiaires : outre le conjoint survivant, les descendants qui vivaient avec le locataire depuis au moins un an, le partenaire pacsé, les ascendants, le concubin notoire et les personnes à charge qui vivaient avec le locataire depuis au moins un an. Le texte ne fixant pas de priorité, l'article 14 prévoit qu'« en cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence ». Certes, pourrait-on [p. 8] dire, la disposition considérée ne traite que du cas de prétentions concurrentes sur le bail, pas du principe même de son transfert. Mais, d'une part, on ne voit pas en vertu de quoi il faudrait une demande dans certains cas et pas dans d'autres(19). D'autre part, et surtout, le texte semble bien exiger implicitement, dans tous les cas, une demande des bénéficiaires.

18. La troisième Chambre civile a donc bien jugé, non seulement au regard de l'esprit de la loi, mais également de sa lettre qui n'est pas aussi catégorique en sens contraire qu'on a bien voulu le dire.

D'ailleurs, un autre argument pourrait être tiré de la comparaison des techniques respectives de l'article 1751 et de l'article 14 de la loi de 1989. Le premier consacre d'abord une cotitularité légale du droit au bail, nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu (par un seul des époux) avant le mariage. Autrement dit, par l'effet de la loi, les époux sont réputés être tout deux titulaires du bail. Le droit au bail appartient à chacun d'entre eux. Au décès de l'un des conjoints, le droit au bail appartiendrait donc au conjoint survivant et aux héritiers du prédécédé (art. 1742, C. civ.). C'est pour éviter cette situation que la loi a attribué un droit exclusif au conjoint survivant sur un bail qui lui appartenant déjà pour partie. Il n'y a pas, à proprement parler, transfert du bail au conjoint puisqu'il en était déjà titulaire en vertu de la loi.

Rien de tel dans l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989. L'hypothèse visée est au contraire celle dans laquelle l‘époux survivant n'a aucun doit sur le bail qui a été conclu par son conjoint seul. Au décès de ce dernier, le droit au bail devrait échoir aux héritiers en application de l'article 1742 du Code civil si la loi ne disposait pas autrement. Elle le fait justement en prévoyant une possibilité de transfert à une série de personnes qu'elle désigne. Implicitement, la loi suggère qu'elles doivent en faire la demande, et si plusieurs optent en ce sens, c'est le juge qui tranche entre elles. Comme le juge exactement l'arrêt rapporté, il n'y a pas de transfert automatique, de plein droit. Il faut que le bénéficiaire désigné par la loi le demande.

19. De ce point de vue, une ambiguïté qui pourrait naî tre de la motivation de l'arrêt doit être levée, pour terminer. Après les juges du fond, la cour de cassation relève que l'épouse avait autorisé le notaire et la bailleresse à débarrasser et à reprendre le logement, démontrant ainsi son intention non équivoque de ne pas occuper le logement litigieux. Ces circonstances renforcent l'idée que le conjoint survivant n'a pas demandé le transfert du bail, bien au contraire. Mais il ne faudrait pas en déduire que le conjoint survivant doit s'opposer au transfert du bail pour éviter qu'il ne se produise. Le système consacré par l'arrêt commenté est inverse : à défaut de demande de l'époux survivant, le transfert du bail n'a pas lieu.

E.S.

III. Bail d'immeuble soumis au statut des baux commerciaux

A. Jurisprudence

1. Congé

a) Congé délivré par erreur par un huissier à la place d'une demande de renouvellement

Civ. 3e, 5 juin 2013, pourvoi n° 12-12065, Bull. civ. III à paraî tre

La nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent les actes de procédure. La mauvaise exécution de son mandat par l'huissier qui délivre par erreur un congé à la place d'une demande de renouvellement du locataire ne constitue pas une irrégularité de fond de l'article 117 du Code de procédure civile.

20. L'arrêt du 5 juin 2013 rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation met fin à un long contentieux relatif à la délivrance par un huissier d'un congé à la place d'une demande de renouvellement par le locataire en rejetant le pourvoi formé contre la Cour d'appel de Lyon, statuant sur renvoi après cassation.

Dans cette affaire, un huissier avait délivré au bailleur, par erreur, le 3 juin 2003, le congé du locataire, la société Mac Donald's, alors que celui-ci l'avait requis de notifier une demande de renouvellement. S'apercevant de son erreur, l'officier public délivre trois jours plus tard une demande de renouvellement. Le bailleur prend acte, par lettre, du congé et de la libération des lieux puis, fait signifier au locataire son refus de renouvellement sans indemnité d'éviction au vu du congé délivré. La Cour d'appel accueille alors la demande du locataire en décidant que le congé est privé de tout effet car il ne s'agit que d'une erreur grossière, rapidement dénoncée par l'huissier requis. Cette décision est cassée le 30 septembre 2009 par la Cour de cassation au motif que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité des actes de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 NCPC ».

La Cour d'appel de renvoi s'incline en rejetant les demandes de l'huissier et du locataire, le premier formant alors un pourvoi principal et le second un pourvoi provoqué reposant sur deux arguments principaux : l'absence de pouvoir de l'huissier de justice de délivrer congé alors qu'il était mandaté par le locataire pour notifier une offre de renouvellement et la signification du congé à une autre personne que le bailleur ou son représentant. La Cour de cassation rejette les deux pourvois en approuvant l'analyse de la Cour d'appel.

21. Elle relève d'abord que c'est à bon droit que la Cour d'appel a retenu que « la nullité des actes d'huissier de justice étaient régie par les dispositions qui gouvernent les actes de procédure et que la nullité d'un congé ne pouvait être prononcée au motif que l'huissier aurait agi en dehors de son mandat, ou que l'acte aurait été délivré par erreur et en l'absence de consentement, la cour d'appel, qui a relevé que l'huissier de justice avait mal exécuté le mandat qui lui avait été donné, en a exactement déduit que l'absence d'intention de la société Mac Donald's ne constituait pas une irrégularité de fond de l'article 117 du Code de procédure civile et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision de retenir que l'acte du 3 juin 2003 avait produit ses effets ».

[p. 9] Aux termes de l'article 649 du Code de procédure civile, la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure. Or, en ce qui concerne les irrégularités de fond, la Cour de cassation a posé le principe que la liste de l'article 117 du Code de procédure civile est limitative(20). Dès lors, la seule irrégularité qui pouvait être invoquée en l'espèce était le défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. Or, l'huissier de justice avait bien un pouvoir de représenter le locataire, mais qu'il avait mal exécuté. Il fallait s'interroger alors sur le point de savoir, comme l'affirmait le pourvoi, si le défaut de pouvoir de l'article 117 du Code de procédure civile recouvre non seulement l'absence de mandat de l'huissier de justice mais aussi le dépassement de pouvoirs de celui-ci. Sans surprise, la Cour de cassation, retenant une interprétation stricte du texte, considère que le dépassement de pouvoir ne constitue pas une irrégularité de fond.

22. La Cour de cassation considère ensuite que c'est à bon droit que la Cour d'appel a déduit, de la délivrance du congé à la société Monoprix représentant la société grand bazar de Lyon SA (le bailleur), que le congé avait été délivré à la personne du bailleur, au lieu de son siège social indiqué dans le bail. En réalité, il s'agissait du lieu de son ancien siège social. Or, le locataire, relevait dans son pourvoi qu'il n'était pas établi que la société Monoprix ait été le mandataire du bailleur et contestait donc qu'il ait été délivré à son véritable destinataire, même si la société monoprix avait accepté l'acte. Le pourvoi cependant ne se fonde pas sur l'irrégularité de forme de l'acte qui en principe n'aurait pu être invoqué que par l'adversaire de celui à la requête duquel il a été fait (ici le bailleur), à condition que l'irrégularité lui cause un grief, pour que soit prononcé la nullité du congé. Il relève qu' « un congé étant un acte réceptice, il n'acquiert sa perfection que par la notification qui en est faite à son destinataire ; qu'en conséquence la signification par le preneur d'un congé à une personne autre que le bailleur équivaut à un défaut de congé dont peuvent se prévaloir tant le bailleur que le preneur ».

La Cour de cassation ne répond pas à cette argumentation dès lors qu'elle considère que le congé a bien été délivré au bailleur, par l'intermédiaire de la société monoprix. On peut cependant se demander, si dans le cas contraire, le moyen développé par le locataire aurait pu prospérer, en déplaçant le débat de l'irrégularité de forme de l'acte de procédure à son existence même.

Il est indéniable que le congé en matière de bail est qualifié d'acte réceptice. Il n'a donc d'existence juridique que sous la condition d'être porté, par une notification, à la connaissance de la personne envers laquelle il est appelé à produire effet(21). On peut aussi, sans doute, admettre son efficacité lorsque son destinataire l'accepte bien qu'il ait été délivré irrégulièrement. En l'espèce, le congé a été signifié le 3 juin 2003 à un autre que le bailleur et il a été suivi, le 6 juin, de la signification, par un second acte de l'huissier de justice fautif, d'une demande de renouvellement qui, selon ses termes mêmes, annulait le congé. Or, le bailleur n'a accepté ce dernier que par une lettre du même jour. Etait-il encore temps de sauver l'acte réceptice de congé de l'inexistence ? Certainement pas si la lettre du bailleur a été expédiée en réponse au second acte d'huissier de justice ; sans doute, s'il était prouvé que la lettre a été envoyée (voir écrite) avant la signification de l'acte. D'où des problèmes de preuve difficilement surmontables.

23. La morale de cette longue procédure, c'est que même en cas d'erreur grossière de l'huissier de justice, le congé, qui constitue un acte unilatéral réceptice, produit tous ses effets dès qu'il est régulièrement délivré. Le seul moyen de le neutraliser est d'obtenir du bailleur qu'il y renonce. À défaut, le locataire pourra obtenir réparation de son entier préjudice en engageant la responsabilité de l'officier public. Cela explique que la Cour d'appel de renvoi ait fait droit à la demande d'expertise afin d'évaluer le préjudice résultant de la perte du droit au bail, préjudice équivalent à une indemnité d'éviction.

2. Application immédiate aux baux en cours de l'article L. 149-9, C. com. modifié par la LME du 4 août 2008

Civ. 3e, 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-21.541, Bull. civ. III, à paraî tre

Les effets légaux d'un contrat étant régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent, l'article L. 145-9 du Code de commerce modifié par la loi du 4 août 2008, imposant de délivrer congé pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l'avance était applicable au contrat en cours.

24. Un bail commercial avait été conclu le 7 mars 2000. Le bailleur donne congé au locataire avec refus de renouvellement, le 30 mars 2009, dans la période de tacite-reconduction (désormais tacite-prolongation), pour le 30 septembre 2009. Le locataire invoque alors, pour contester la validité du congé, le non-respect de l'article L. 145-9 du Code de commerce dans sa version antérieure à la loi du 4 août 2008. Celui-ci prévoyait, en effet, que le congé devait être donné « suivant les usages locaux et au moins six mois à l'avance », alors que dans sa version en vigueur lors de la délivrance du congé, le texte disposait que le congé devait être donné 6 mois à l'avance pour « le dernier jour du trimestre civil ». L'huissier de justice, appliquant la loi nouvelle, délivre donc le congé du bailleur pour le 30 septembre, 6 mois à l'avance, pour le dernier jour du trimestre civil, le respect du délai de préavis coïncidant, en l'espèce, avec le dernier jour du trimestre civil.

25. La Cour d'appel rejette la demande en nullité du congé au motif que la loi nouvelle est d'application immédiate, y compris au contrat en cours, dès lors qu'elle modifie des dispositions statutaires d'ordre public. Le pourvoi conteste ce motif en relevant qu'une loi nouvelle même d'ordre public ne peut, en l'absence de dispositions spéciales, régir les effets à venir des contrats conclus antérieurement. Pour le rejeter, la Cour de cassation rappelle un principe aujourd'hui classique selon lequel les effets légaux d'un contrat sont régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent.

Si le principe de la survie de la loi ancienne demeure, il fait désormais l'objet de deux exceptions jurisprudentielles : la prise en compte de considérations d'ordre public particulièrement impératives d'une part, la réglementation par la loi nouvelle des effets légaux du contrat, d'autre part. Selon le principe de la survie de la loi ancienne, les dispositions légales nouvelles ne sont pas applicables aux effets d'un contrat, même survenus postérieurement à [p. 10] l'entrée en vigueur de la loi nouvelle dès lors que le contrat a été conclu antérieurement à celle-ci. Cependant, la loi nouvelle peut s'appliquer immédiatement à ces effets, si le législateur le prescrit ou si d'impératives considérations d'ordre public le justifient. C'est sur le non-respect des conditions de mise en œuvre de cette première exception que repose le pourvoi lorsqu'il relève que la nature d'ordre public de la LME ne pouvait à elle seule justifier son application immédiate et que les juges du fond auraient dû préciser les impératives considérations d'ordre public qui motivaient celle-ci. La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement du locataire car pour elle c'est la seconde exception à la survie de la loi ancienne qui fonde l'application immédiate du texte. Pour la cour de cassation l'article L. 145-9 du Code de commerce précise des effets légaux du bail soumis au statut des baux commerciaux. C'est alors suffisant pour que cette disposition s'applique immédiatement car de contractuelle, la situation est devenue légale(22) ; il n'y a pas à rechercher si d'impératives considérations d'ordre public le justifient. En matière de bail commercial, la Cour de cassation a déjà qualifié d'effets légaux du contrat pour appliquer immédiatement la loi nouvelle, la réglementation du droit de renouvellement(23), le plafonnement légal du loyer renouvelé(24) ou la révision des loyers(25).

26. Les prescriptions de l'article L. 145-9 du Code de commerce s'ajoute à la liste déjà longue des effets légaux du bail soumis au statut des baux commerciaux. Cette solution est précieuse car la rédaction de l'article L. 145-9 a été à nouveau reprise par la loi du 22 mars 2012 pour mettre fin aux difficultés d'application suscité par la formulation retenue par la loi du 4 août 2008(26). Désormais, lors de la délivrance d'un congé, l'huissier de justice pourra, sans hésitation, appliquer le texte dans sa dernière version, même si le bail a été conclu avant l'entrée en vigueur de la dernière loi. Il devra alors distinguer deux cas. Le congé prend effet à l'arrivée du terme du bail lorsqu'il est donné au moins six mois avant ce terme. Le congé donné au cours de la tacite prorogation (en tout ou en partie) ne prend effet que le premier jour du trimestre suivant l'écoulement du préavis de six mois. Il pourra aussi appliquer l'article L. 145-9 dans sa version en cours lorsque c'est le locataire qui donnera un congé triennal, l'article L. 145-4 renvoyant pour ses formes et délais à l'article L. 145-9 du Code de commerce(27).

B. Quelques précisions relatives à la procédure sur mémoire en matière de fixation du prix du bail

1. Domaine de la procédure sur mémoire

Civ. 3e, 23 mai 2013, pourvoi n° 12-14.009, Bull. civ. III, à paraî tre.

La procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé est la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le seul juge des loyers commerciaux.

27. Un bailleur avait délivré un congé avec offre de renouvellement et fixation du nouveau loyer. Il saisit ensuite le juge des loyers qui se déclare incompétent au profit du tribunal de grande instance au motif qu'il existait également une contestation sur la date de renouvellement du bail. Le tribunal de grande instance est saisi accessoirement de la fixation du loyer du bail renouvelé et se prononce sans que soit respectée la procédure sur mémoire. Le locataire invoque alors une exception d'irrecevabilité de la demande en fixation du loyer. Celle-ci est écartée par les juges du fond. La Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant que « La procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé étant la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le seul juge des loyers commerciaux, la Cour d'appel a retenu à bon droit qu'il ne pouvait être fait grief à la bailleresse de ne pas avoir déposé de mémoire après expertise et constatant que les parties avaient conclu après le rapport de l'expert judiciaire, en a justement déduit que la procédure était régulière ».

Ce principe n'est que la reprise de celui déjà posé par la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 27 novembre 2002 en matière de fixation du loyer révisé(28). L'arrêt critiqué par le pourvoi avait été cassé au motif que « que lorsque la demande en révision du loyer est formée accessoirement devant le tribunal de grande instance saisi à titre principal d'une question relevant de sa compétence, cette demande est instruite suivant les règles applicables devant cette juridiction et non pas suivant la procédure en vigueur devant le juge des loyers commerciaux ».

La procédure à suivre n'est donc pas une procédure sur mémoire mais est celle propre au tribunal de grande instance : postulation obligatoire et échange de conclusions.

2. Obligation de notifier le mémoire aux deux époux cobailleurs de l'immeuble

Civ. 3e, 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-13.780, Bull. civ. III, à paraî tre

Le défaut de notification du mémoire à chacun des bailleurs entraî ne l'irrecevabilité de l'action.

28. En l'espèce, un locataire avait délivré son mémoire dans une procédure de fixation du prix du bail par une lettre recommandée avec accusé de réception unique adressée aux deux époux [p. 11] cobailleurs. Ceux-ci avaient soulevé l'exception d'irrecevabilité de l'action formée devant le juge des loyers qui est rejetée par les juges du fond au motif qu'une lettre du conseil des bailleurs datée du 26 mai 2009, soit plus d'un mois avant leur assignation devant le juge des loyers, prouve que les deux cobailleurs avaient connaissance du mémoire notifié par le locataire et que cela valait preuve de sa réception antérieure de plus d'un mois à la date d'assignation.

Au visa des articles R. 145-26 et R. 145-27 du Code de commerce, la Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel, au motif que « le défaut de notification du mémoire à chacun des bailleurs entraî ne l'irrecevabilité de l'action ». L'article R. 145-26 prévoit, en effet, que « les mémoires sont notifiés par chacune des parties à l'autre ». Dès lors qu'il y a plusieurs bailleurs ou plusieurs locataires, la Cour de cassation en déduit que l'auteur du mémoire - en l'espèce le locataire - doit notifier celui-ci par autant de lettres recommandées qu'il y a de bailleur(29). La connaissance effective par ceux-ci des mémoires n'est donc pas suffisante pour rejeter l'exception d'inexécution lorsqu'une seule lettre a été envoyée aux deux époux cobailleurs.

3. Date à laquelle la formalité de la notification du mémoire est remplie

Civ. 3e, 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-20.103, Bull. civ. III, à paraî tre

La formalité de notification du mémoire en fixation du prix est remplie lorsque son destinataire est à même de retirer la lettre recommandée présentée à son domicile.

29. Dans la procédure de fixation du prix, aux termes de l'article R. 145-27 du Code de commerce, « le juge des loyers ne peut, à peine d'irrecevabilité, être saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi ». C'est sans doute en se fondant sur la lettre du texte exigeant la réception du premier mémoire qu'une Cour d'appel a déclaré le juge des loyers non valablement saisi dès lors que les deux lettres recommandées contenant les mémoires avant (lettre du 25 juin 2008) et après expertise (lettre du 11 mars 2010), adressées par un bailleur à son locataire, avaient été retournées au premier avec la mention « non réclamé ». En l'espèce, le bailleur, qui avait fait délivré le congé avec offre de renouvellement le 31 décembre 2006 avait néanmoins continué la procédure en saisissant le juge des loyers par assignation du 21 octobre 2008. La décision de la Cour d'appel était donc lourde de conséquence pour le bailleur puisque l'action en fixation du loyer étant désormais prescrite, le bail renouvelé l'était aux conditions financières du bail précédent.

30. La Cour de cassation censure cette décision au motif que « La formalité de notification du mémoire en fixation du prix est remplie lorsque son destinataire est à même de retirer la lettre recommandée présentée à son domicile ».

On remarquera, cependant, que la Cour de cassation ne s'appuie pas sur les dispositions du code de procédure civile précisant la date des notifications ordinaire. L'article 668 du Code de procédure civile prévoit, en effet, que « la date de notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède celle de l'expédition et, à l'égard de celui à qui elle a été faite, la date de la réception de la lettre » et, l'article 669 al. 3 du Code de procédure civile ajoute que lorsque la lettre est recommandée, la date de réception est celle de la remise effective de la lettre à son destinataire par l'administration des postes. L'application de ces textes conduirait à considérer que c'est à partir de sa remise effective à l'autre partie que commence à courir le délai d'un mois qui doit s'écouler avant la saisine du juge des loyers.

La Cour ne dit pas non plus, ce qui serait totalement contraire à l'article L. 145-27, que le délai d'un mois cours à compter de l'expédition de la lettre recommandée avec accusé de réception.

Elle donne, en revanche, un sens spécifique aux termes de « réception par son destinataire » en considérant qu'il suffit que « son destinataire soit à même de retirer la lettre recommandée présentée à son domicile ». Ce qui est certain c'est que le destinataire (parfois de mauvaise foi) ne pourra plus se contenter de relever son absence de réception effective de la lettre pour soulever une exception d'irrecevabilité. Mais cela ne signifie pas forcément que la réception au sens de l'article R. 145-27 sera toujours constatée dès le jour de la première présentation de la lettre au domicile ou au siège social du destinataire, sauf à admettre, que pour la Cour de cassation, la formule retenue est synonyme de première présentation de la lettre recommandée au destinataire.

L'assouplissement apporté par l'arrêt commenté, en luttant contre la tactique condamnable consistant à ne pas aller retirer la lettre recommandée, est opportun. La solution crée cependant une nouvelle incertitude quant au point de départ du délai d'un mois qui doit s'écouler avant la saisine du juge des loyers.

4. Faculté de notifier le mémoire par huissier de justice

Civ. 3e, 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-19352, Bull. civ. III, à paraî tre

Aucun texte n'écartant l'application de l'article 651 al. 3 CPC, la notification du mémoire peut être signifiée par huissier de justice.

La validité d'un mémoire n'est pas subordonnée à l'emploi exprès du terme « mémoire ».

31. C'est semble-t-il la première fois que la Cour de cassation est amené à se prononcer sur l'application de l'article 651 alinéa 3 du Code de procédure civile en ce qui concerne la notification du mémoire dans la procédure de fixation du loyer commercial. Ce texte prévoit en effet que « la notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l'aurait prévue sous une autre forme ». Sans surprise, elle considère donc que si l'article R. 145-26 du Code de commerce prévoit une autre forme pour la notification du mémoire, en l'occurrence la lettre recommandée avec accusé de réception, la signification par voie d'huissier de justice du mémoire demeure néanmoins ouverte dès lors qu'aucun texte ne l'interdit. La Cour de cassation avait déjà retenu la même solution en matière de notification du droit de préemption à l'occupant lors de cession du logement après première division de l'immeuble pour laquelle l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 impose le recours à la lettre recommandée avec accusé de réception(30).

[p. 12] 32. Elle ajoute que la notification ne doit pas forcément contenir le terme « mémoire » dès lors qu'aucun texte ne l'impose à peine de nullité. La notification est donc régulière, bien que l'acte d'huissier est retenu les termes de « conclusions récapitulatives après dépôt de rapport d'expert » dès lors qu'elle a bien été faite directement à l'autre partie et non pas communiquée selon les règles des notifications entre avocats.

R-N. S.

IV. Baux ruraux

A. Projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt

Projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt ; Document de travail du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, en date du 12 septembre 2013.

33. « L'agriculture française, les filières agroalimentaires et forestières sont des leviers essentiels pour relever le défi de la compétitivité économique, sociale et environnementale de notre pays et contribuer ainsi au développement productif de la France et de l'ensemble des territoires ». Ainsi s'est exprimé le Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll lorsqu'il a, mi-septembre, annoncé officiellement le projet de loi pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Document qui doit être présenté en Conseil des ministres le 30 octobre 2013 pour un début d'examen du texte en séance publique à l'Assemblée nationale prévu le 7 janvier 2014. Il s'agit, toujours selon ses dires, de donner un nouvel élan pour l'agriculture, avec comme mot d'ordre la « double performance : économique et environnementale ».

34. Le résultat est un projet de loi comportant 40 articles, répartis dans 7 titres différents.

À noter que l'article 1er du projet propose d'insérer, avant le livre I du Code rural et de la pêche maritime, un livre préliminaire consacré aux « principes généraux », avec notamment un futur article L. 1 qui fixera les grandes orientations de la politique agricole et alimentaire (accès de tous à une alimentation sûre, diversifiée, en quantités suffisantes, de bonnes qualité gustative et nutritionnelle, produite dans le respect de l'environnement ..), et affirmera les objectifs de développement des filières de production et de transformation. Les futurs articles L. 2 et L. 3 de ce livre préliminaire prévoient les mêmes finalités s'agissant de la politique à conduire en matière forestière et pour les pêches maritimes, l'aquaculture et les activités halio-alimentaires.

35.  Le titre premier du projet de loi est consacré à la « performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires ». Cela se traduirait notamment par un renforcement des rôles du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, et de France-Agrimer.

Le Code rural et de la pêche maritime s'enrichirait aussi d'une nouvelle dénomination, véritable nouveauté du projet de loi : le groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE). Dénomination que pourra revendiquer tout groupement, qu'il soit ou non doté de la personnalité morale, comprenant plusieurs exploitants agricoles et, le cas échéant, d'autres personnes intéressées, et dont les membres s'engageront collectivement à mettre en œuvre un projet pluriannuel de modification durable des pratiques employées pour la gestion de leurs systèmes de production, en visant toujours la double performance économique et environnementale. Les GIEE ainsi constitués pourraient alors bénéficier de « priorités et majorations dans l'attribution des aides publiques dont les objectifs correspondent aux finalités de leur projet pluriannuel ».

Pour favoriser le développement d'une agriculture respectueuse de l'environnement, l'autorité administrative pourrait rendre obligatoire pour ceux qui vendent des matières fertilisantes azotées en vue d'un usage agricole une « déclaration annuelle relative à leur activité ».

De plus, le bail rural avec clauses environnementales, instauré par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et introduit à l'article L. 411-27 du Code rural et de la pêche maritime, verrait son application étendue puisque tout bailleur, sans distinction de nature publique ou privée, pourrait l'envisager en quel que lieu que soit situé le bien objet de la location (pour l'heure, les bailleurs privés ne peuvent proposer un tel contrat à un candidat à l'exploitation que si leurs terrains sont situés dans des périmètres protégés au sens du Code de l'environnement).

Une nouvelle définition du GAEC total et du GAEC partiel est proposée ; et il est envisagé qu'un GAEC total puisse, sans perdre sa qualité, participer en tant que personne morale associée d'une autre société, à la production et, le cas échéant, à la commercialisation de produits de la méthanisation.

Le projet de loi propose aussi une gouvernance « rénovée » du modèle coopératif, pour plus de transparence dans les relations entre les sociétés coopératives et leurs associés.

La performance économique et environnementale passerait également par une meilleure organisation des filières, au sein notamment d'interprofessions reconnues et légitimes, et associant plus largement les organisations syndicales d'exploitants agricoles représentatives.

Enfin, un effort supplémentaire serait fait en faveur de « la contractualisation » en agriculture. L'objectif confirmé est d'en faire un outil de régulation des filières, ce qui doit passer par un aménagement de la législation existante pour favoriser l'équilibre de la relation commerciale, par une adaptation de la contractualisation avec les jeunes agriculteurs et enfin par un rôle renforcé du médiateur des contrats agricoles.

36. Le Titre II du projet de la loi d'avenir est consacré à la « protection des terres agricoles et au renouvellement des générations », indispensable pour conserver une agriculture performante et diversifiée et avoir une politique dynamique d'installation.

À cette fin, les compétences de la Commission départementale de consommation de l'espace agricole (CDCEA) et de l'Observatoire national de la consommation des espaces agricoles (ONCEA), créés par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010, vont être élargies aux espaces naturels et forestiers. De plus, l'avis des CDCEA ne sera rendu qu'après que les documents du projet impactant les espaces aient été soumis à enquête publique.

Le projet de loi indique que les SAFER vont « œuvrer prioritairement à la protection des espaces agricoles et naturels ». Au-delà, le rôle des SAFER est renforcé puisqu'elles devraient être informées de toute opération conclue à titre onéreux portant sur des biens mobiliers ou immobiliers ruraux, des terres, des [p. 13] exploitations agricoles ou forestières, avec élargissement de leur droit de préemption à l'ensemble des biens à vocation agricole (dont les friches hors bâtis) et une capacité accrue d'acquisition à l'amiable de parts sociales ou actions des exploitations sous forme sociétaire. Selon le nouvel article L. 141-1-1, les SAFER sont préalablement informées par le notaire et, c'est nouveau, par le vendeur en cas de vente de part sociale, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, de toute cession conclue à titre onéreux portant sur des biens mobiliers ou droits mobiliers ou immobiliers situés dans leur ressort. De plus, le régime des sanctions en cas de violation de l'obligation d'information de la SAFER évolue sensiblement mais moins que les SAFER ne l'avaient un temps imaginé (en projet une amende administrative pouvant aller jusqu'à 5% du montant de la transaction). Si un immeuble sur lequel une SAFER était autorisée à préempter a été aliéné au profit d'un tiers en violation de l'obligation d'information, la SAFER peut, dans un délai de 6 mois à compter de la publication de l'acte de vente, demander au tribunal de grande instance soit d'annuler la vente, soit de la déclarer acquéreur aux lieu et place du tiers. Enfin, le mode de gouvernance des SAFER doit évoluer, et leur régionalisation se poursuivre.

La politique de l'installation en agriculture est revisitée afin de la rendre accessible à tous dans le respect de la diversité des projets, en essayant de favoriser l'installation progressive et l'accès au parcours professionnel personnalisé par une meilleure couverture sociale des stagiaires. Enfin, la taxe obligatoire sur les cessions de terres devenues constructibles, instaurée par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010, évolue à travers une refonte de ses objectifs et de ses conditions d'utilisation.

Comme à chaque loi agricole, qu'elle soit d'orientation, d'amélioration, d'adaptation, de modernisation..., le contrôle des structures est promis à évoluer. L'objectif annoncé est d'inscrire dorénavant ses priorités à l'échelon régional (le schéma directeur départemental des structures (SDDS) laissera la place à un schéma directeur régional des exploitations agricoles) et surtout de les actualiser en faveur de l'installation et de la consolidation d'exploitations pérennes, tout en limitant les agrandissements excessifs. Pour cela, la réglementation relative au contrôle des structures est adaptée afin de rendre plus transparentes les opérations de déclaration et d'autorisation. Le régime de la déclaration préalable pour la reprise de biens familiaux devrait être réservé aux seules opérations d'installation. Enfin, est projeté un meilleur encadrement des mouvements sociétaires, notamment lorsqu'ils se traduisent par des agrandissements « excessifs ou une concentration d'exploitations ». De même que la réduction du nombre d'actifs agricoles pourrait être une cause de refus de délivrance de l'autorisation d'exploiter à une structure sociétaire.

Pour mieux prendre en compte la diversité des productions et des modèles d'exploitation, le projet redéfinit la surface minimale d'assujettissement au regard du droit social agricole, en y incorporant une notion d'activité.

37. Le titre III ambitionne de faire de l'alimentation et de la performance sanitaire, une politique publique que s'approprient les citoyens. Cela devrait se traduire notamment par une simplification de contenu et davantage de place faite aux acteurs territoriaux pour valoriser les initiatives locales. Les salariés des filières et entreprises agricoles et agroalimentaires sont intégrés dans le dispositif de protection des lanceurs d'alerte, pour participer à la prévention et à la détection des fraudes alimentaires dont ils pourraient avoir connaissance dans l'exercice de leurs activités. Pour optimiser le dispositif sanitaire, les modalités de recours aux laboratoires dans le cadre d'analyses officielles devraient être simplifiées, et ce tant en matière de santé végétale qu'animale, étendue à la faune sauvage. Pour renforcer l'information du public et la transparence, le Ministère publiera de manière systématique les résultats des contrôles sanitaires effectués dans les établissements (abattoirs, restaurants, métiers de bouche…). Les pratiques commerciales s'agissant de médicaments vétérinaires devraient être mieux encadrées, en veillant à ce que cela ne porte pas atteinte à la performance sanitaire des élevages. En cas de manquement aux règles ou de non-respect des procédures, le régime de sanctions administratives et pénales s'alignera sur celui existant en matière de médicaments destinés à l'humain. Les pouvoirs des préfets devraient être accrus pour permettre davantage de réactivité en cas d'émergence de maladies végétales locales.

Les utilisateurs « amateurs » de produits phytosanitaires ne sont pas oubliés puisque le projet de loi d'avenir envisage d'interdire toute publicité pour de tels produits, hors cadre professionnel. Un suivi post-autorisation de mise sur le marché est prévu pour mieux mesurer et maî triser les effets des produits phytosanitaires, et cela à la charge des firmes qui commercialisent ces produits. Pour lutter contre la circulation de produits frauduleux, notamment d'importation, les pouvoirs de contrôle des douanes seront renforcés. Enfin, les vendeurs de ces produits seront soumis à une obligation de conseils d'utilisation dès lors qu'ils vendent ou délivrent à titre gratuit des produits phytosanitaires à des professionnels ou à des amateurs.

38. Le titre IV est relatif à l'enseignement agricole afin d'adapter ses missions et apprentissages aux nouveaux défis de l'agriculture, en particulier l'ouverture à l'international, en conservant toujours le mot d'ordre « double performance économique/environnementale ». À ce titre, les exploitations des établissements agricoles doivent être un lieu d'expérimentations de nouvelles pratiques agronomiques et agro-écologiques innovantes. Le parcours des élèves doit être mieux sécurisé et les passerelles entre l'enseignement technique agricole et supérieur facilitées. Est également envisagée la création de l'Institut vétérinaire de France, regroupant les 4 écoles actuelles, afin d'enrichir et adapter l'offre et les modalités de formation.

39. Le titre V est dédié à la forêt, avec pas moins de 7 articles. Pour une meilleure concertation entre les acteurs de la filière doit être établi un « programme national de la forêt et du bois », fixant les grandes orientations et actions permettant de relever les défis en la matière que sont l'adaptation au changement climatique, la mobilisation de la ressource bois, la dynamisation de la filière… Orientations nationales promises ensuite à déclinaison à l'échelon local, après concertation entre l'État et les régions. À noter que sont reconnues d'intérêt général : « 1° la protection et la mise en valeur des bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre d'une gestion durable ; 2° la conservation des ressources génétiques forestières ; 3° la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les bois et forêts, dans le bois et les produits fabriqués à partir de bois ». Le dernier objectif devrait, par exemple, se traduire par l'imposition d'une quantité minimale de bois dans les constructions neuves.

[p. 14] La politique forestière doit privilégier les mesures incitatives et contractuelles, notamment à l'égard des propriétaires organisés en groupements, et par la recherche de contreparties aux services rendus par la forêt dans son rôle environnemental et social. Est ainsi envisagée la création de GIEE « F » pour : Groupements d'Intérêts Economiques et Environnementaux Forestiers, afin de dynamiser la gestion durable et multifonctionnelle des forêts privées et en incitant au regroupement collectif. Dans le prolongement est prévue la création du « compte d'investissement forestier et d'assurance » pour favoriser le développement de l'assurance des propriétés forestières privées, dont l'exploitation devrait être dynamisée. Par ailleurs, un « fonds stratégique de la forêt et du bois » est créé afin que l'Etat concourt au financement de projets d'investissements et d'actions de recherche, de développement et d'innovation s'inscrivant dans le cadre des orientations stratégiques. Les modalités d'ouverture et de fonctionnement du « compte d'investissement forestier et d'assurance » sont revisitées.

Le droit de préférence des propriétaires voisins en cas de vente d'une propriété boisée de moins de 4 hectares, qui suscite tant de difficultés en pratique, est abordé juste pour indiquer qu'il s'exerce sous réserve du droit de préemption prévu au bénéfice de « personnes morales chargées d'une mission de service public par le Code rural et de la pêche maritime ou par le Code de l'urbanisme », visant ici d'une part la SAFER déjà évoquée dans le texte initial mais d'autre part, les collectivités locales (commune, département …).

40. Le titre VI rassemble les dispositions relatives à l'Outre-mer, avec notamment l'annonce d'un « comité régional d'orientations stratégiques et de développement » (CROSD), chargé de définir une vision stratégique et partagée pour le développement de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Ici, la double performance économique et environnementale doit se traduire tout particulièrement par la préservation du foncier agricole, une politique en faveur de l'installation, un appui aux démarches de qualité et d'approvisionnement du marché local par la production locale et enfin, la préservation d'une petite agriculture familiale.

41. Pour terminer, le titre VII est comme de coutume consacré aux « dispositions transitoires et diverses », visant notamment à « simplifier et clarifier le droit » !

42. Au final, le résultat selon nous ressemble davantage à une compilation de retouches de la réglementation existante, avec ici ou là quelques véritables nouveautés telles que le GIEE, qu'à une véritable « loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt » ! Espérons que le travail parlementaire améliorera la copie pour tenter de donner un véritable cap pour notre agriculture.

B. Congé après division du bien loué en cours de bail

Civ. 3e,10 avril 2013, pourvoi n° 12.14.837.

Bail rural - Division - Congé pour reprise - Auteur - CRPM, art. L. 411-58 et L. 411-62.

43. Devenu par succession propriétaire d'une partie des biens loués par bail rural, un descendant peut-il, pour le terme du bail, délivrer un congé pour reprise en vue d'une exploitation personnelle de la partie dont il a hérité ? C'est la question que vient de trancher la Cour de cassation, confirmant une position adoptée à maintes reprises.

44. En l'occurrence, il s'agissait d'un bail à long terme consenti le 29 septembre 1993. Devenu propriétaire en 2009 d'une partie des biens loués, le descendant décide de délivrer le 8 mars 2010 aux époux co-preneurs un congé portant sur les 16 ha. dont il venait de recevoir la propriété afin que ceux-ci libèrent les lieux au terme du bail, soit le 28 septembre 2011. Les preneurs ont alors agi en nullité du congé, au motif que c'est à la date d'effet du congé qu'il faut se placer pour apprécier sa régularité. Or le bail ne s'étant pas renouvelé dans la mesure où le congé était donné précisément pour cette échéance, il fallait selon les preneurs considérer qu'il restait un tout indivisible et que par conséquent, la reprise pour laquelle le congé avait été délivré devait s'analyser en une reprise partielle du bien loué. Argument qui leur permettaient alors de revendiquer le bénéfice de l'article L. 411-62 du Code rural et de la pêche maritime qui dispose que le bailleur ne peut reprendre une partie des biens loués si cette reprise est de nature à porter gravement atteinte à l'équilibre économique de l'ensemble de l'exploitation assurée par le preneur. En l'espèce, les preneurs faisaient valoir que l'équilibre économique de l'exploitation à laquelle ils participent au sein d'un GAEC serait gravement compromis puisque la perte des 16 hectares, objet du congé reprise, allait impacter la quantité de référence laitière dont est titulaire la société, le nombre de ses droits à paiement unique ainsi que son plan d'épandage ; conséquences de la reprise « partielle » estimée par le comptable de l'exploitant à près de 30 % du résultat de l'exploitation !

Si l'argumentation n'a pas séduit les juges de première instance, elle a été accueillie favorablement par la cour d'appel qui décida d'annuler le congé pour reprise. Décision censurée par la Cour de cassation, qui n'admet pas la contestation du congé sur le fondement du régime dérogatoire de la reprise partielle tel que prévu par l'article L. 411-62 du Code rural et de la pêche maritime. Si les conséquences de la reprise partielle s'apprécient effectivement eu égard à la situation du preneur, cela suppose avant de vérifier qu'il s'agit bien, côté bailleur, d'une reprise partielle des biens loués. Or la règle est bien établie ! Le congé délivré s'apprécie non pas à sa date de délivrance mais à sa date d'effet ; c'est-à-dire au terme du bail, moment où il s'achève et avec lui le principe de l'invisibilité du bail. À la date d'effet du congé, ici le 28 septembre 2011, l'indivisibilité du bail disparaî t ; aussi, la reprise devait-elle être considérée comme menée pour « la totalité des terres dont son auteur était devenu propriétaire ».

45. La même solution avait été retenue quelques mois auparavant dans une affaire de contestation de congé délivré après donation-partage en cours de bail. Après avoir consenti un bail de 18 ans sur un ensemble de parcelles, le couple bailleur décida d'effectuer une donation-partage entre ses descendants, en vertu de laquelle leur fils se voit attribuer une partie des biens affermés. Dans la foulée, il décide de délivrer congé sur les parcelles lui ayant été attribuées en pleine propriété. Comme dans la présente espèce, le locataire décide de contester le congé au motif que « l'indivisibilité du bail persistant jusqu'à son expiration nonobstant la division entre plusieurs propriétaires des biens en faisant l'objet », le bail demeurait soumis au statut du fermage jusqu'à son expiration, de sorte que le congé aurait dû être délivré par l'ensemble des indivisaires. À quoi la Cour de cassation a répondu que dans [p. 15] la mesure où effectivement l'indivisibilité du bail rural cesse à son expiration et que les conditions d'une reprise doivent être appréciées à la date d'effet du congé délivré à cette fin, les juges du fond ont eu raison d'en déduire qu'à cette date, la donation-partage ayant produit ses effets, le fils était devenu l'unique propriétaire des parcelles considérées et avait donc qualité pour délivrer seul le congé pour reprise(31).

Mais si l'indivisibilité du bail cesse à son expiration, il est pourtant un cas dans lequel le législateur a décidé, pour lutter contre certains abus, de retarder les effets de celle-ci. Il en va ainsi en matière de « petites parcelles », qui bénéficient d'un régime dérogatoire en matière de statut du fermage (CRPM., art. L. 411-3). Pour être considéré « petites parcelles », il faut, d'une part, que le bien loué soit d'une superficie inférieure à la limite fixée par arrêté préfectoral (variable suivant les départements et les modes de culture). D'autre part, les petites parcelles ne peuvent être louées par bail dérogeant au statut que si elles ne constituent « pas un corps de ferme ou des parties essentielles de l'exploitation ». Dans ces conditions, la tentation est grande pour le bailleur ayant consenti un bail pleinement soumis au statut du fermage, de procéder en cours de location, à la division de son fonds entre plusieurs propriétaires, notamment par partage, aux fins d'établir qu'il existerait désormais plusieurs baux, dont certains ou tous échapperaient au statut au motif qu'ils porteraient sur des fonds d'une superficie inférieure au minimum légal. Si la règle a toujours été écartée en cours de bail, la jurisprudence a admis qu'à la fin du bail l'indivisibilité du contrat prend fin. Aussi le bail renouvelé étant un nouveau contrat, le bailleur propriétaire d'une parcelle devenue « petite », peut s'affranchir d'une partie du statut. Afin d'éviter de telles manœuvres, le législateur a prévu dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 une condition supplémentaire : la dérogation au statut du fermage ne s'applique pas « aux parcelles ayant fait l'objet d'une division depuis moins de 9 ans ».

Diviser oblige parfois à patienter !

C. La SAFER peut-elle exercer son droit de préemption sur un terrain partiellement boisé ?

Civ. 3e, 5 juin 2013, pourvoi n° 12-18.313. (Adde. Civ. 3e, 19 mars 2008, pourvoi n° 07-11.383).

Vente d'une parcelle mixte - Droit de préemption de la SAFER - Prépondérance de la partie agricole - CRPM, art. L. 143-1 et L. 143-4 6°.

46. La SAFER (société d'aménagement et d'établissement foncier rural) peut-elle, par exercice du droit de préemption qu'elle tire des articles L. 143-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, se porter acquéreur à l'occasion de la vente d'une parcelle partiellement boisée ? C'est à cette question, nouvelle à notre connaissance, que la Cour de cassation vient de répondre par un arrêt de principe, offrant une lecture plus fine des cas d'exclusion du droit de préemption SAFER en matière de bois.

47. Les faits, simples, méritent d'être rappelés, ne serait-ce que pour différencier la solution retenue de celle rendue quelques années plus tôt dans une situation quelque peu différente puisqu'il s'agissait de la vente de plusieurs parcelles dont certaines étaient en nature de bois.

En l'espèce, le propriétaire d'une parcelle, pour partie en nature de pré et pour le reste en bois, envisage de la vendre. Le notaire chargé d'instrumenter la vente décide alors, comme la loi l'y oblige (L. 412-8 par renvoi de L. 143-8, CRPM) (alors qu'il convenait dès ce stade de s'interroger pour savoir si l'aliénation envisagée entrait ou non dans le champ d'application du droit de préemption), de notifier la vente à la SAFER qui déclare, dans le délai de 2 mois qui lui est imparti pour se prononcer, préempter le bien mixte vendu. En réaction, les acquéreurs évincés sollicitent les juges afin d'obtenir l'annulation de la préemption. Demande repoussée au motif principal que dans l'hypothèse de la vente d'une parcelle non intégralement boisée, « la proportion de bois doit être regardée comme indifférente ». Erreur manifeste d'interprétation selon la Cour de cassation, pour qui une parcelle de nature mixte, vendue isolément, n'est susceptible d'être préemptée par la SAFER « que si les surfaces agricoles sont prépondérantes ».

48. La position des hauts magistrats mérite d'être saluée, emprunte de bon sens qu'elle est ; elle peut même être renforcée par raisonnement analogique avec un autre droit de préférence légal récemment instauré.

L'article L. 143-1 du Code rural et de la pêche maritime enseigne que le droit de préemption de la SAFER a vocation à s'appliquer en cas d'aliénation de « biens immobiliers à utilisation agricole ? ou terrains à vocation agricole » ; logique puisque l'objectif à terme pour la SAFER devenue propriétaire est de rétrocéder le bien, là pour installer un jeune ailleurs pour renforcer une exploitation agricole. Aussi importe-t-il, comme l'y invite la Cour de cassation, de procéder avec discernement, et de ne pas ouvrir à la préemption tout bien «  mixte ». Alors que par principe (sauf les cas particuliers listés au 6° de l'article L. 143-4), le droit de préemption est écarté s'agissant de surfaces boisées, il serait absurde que quelques gouttes de prairies dans un océan d'arbres suffisent à restaurer la prérogative de la SAFER, exorbitante du droit commun de la vente.

Au bon sens ajoutons le raisonnement analogique. La loi dite de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 a instauré un droit de préférence des propriétaires de parcelles boisées contiguës. Le dispositif, initialement codifié aux articles L. 514-1 et suivants du Code forestier, a été retouché par loi du 22 mars 2012 (dite de simplification du droit, ou encore loi « Warsman »). Au-delà d'un simple changement de numérotation (désormais articles L. 331-19 à L. 331-21 du Code forestier), le régime juridique du droit de préférence des voisins en cas de vente de parcelles boisées s'est enrichi d'une exception tout à fait éclairante par rapport à l'arrêt étudié. Dorénavant (depuis le 1er juillet 2012), le droit de préférence ne s'applique pas lorsque la vente doit intervenir « sur un terrain classé entièrement au cadastre en nature de bois mais dont la partie boisée représente moins de la moitié de la surface totale ». C'est clair ! Si les surfaces boisées ne sont pas prépondérantes, il ne saurait y avoir de droit de préférence légal (que l'on pourrait d'ailleurs qualifier de droit de préemption au regard de sa source) sur le bien mixte vendu. Tout comme vient de le juger la Cour de cassation : il ne saurait y avoir de droit de préemption de la SAFER si la partie agricole n'est pas prépondérante dans le bien mixte dont la vente est envisagée.

[p. 16] 49. La solution que nous venons d'évoquer ne doit pas être confondue avec celle rendue quelques années plus tôt par la Cour de cassation, mais dans un contexte différent(32). En l'espèce, le propriétaire envisageait de vendre non pas un terrain mixte, mais plusieurs parcelles dont certaines étaient boisées et d'autres de nature agricole. Or le cas est expressément visé par le a) du 6° de l'article L 143-4 du Code rural et de la pêche maritime, qui restaure le droit de préemption de la SAFER sur les surfaces boisées lorsque « ces dernières sont mises en vente avec d'autres parcelles boisées dépendant de la même exploitation agricole ». L'apport de la jurisprudence au texte cité résultant alors de la précision que la SAFER peut préempter un fonds incluant des parcelles boisées « sans qu'il soit exigé que les parcelles non boisées soient prépondérantes »(33). Dans l'affaire, l'acquéreur évincé contestait la préemption SAFER au motif que les surfaces boisées ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption que si elles sont « l'accessoire » d'autres parcelles non boisées de la même exploitation. En l'occurrence, les surfaces agricoles ne représentaient que 3ha 30ca sur les 13 ha aliénés.

Est-ce à dire qu'en présence de plusieurs parcelles, un peu « d'agricole » dans le lot « boisé » suffit à restaurer à coup sûr la SAFER dans son droit de préemption ? Pas automatiquement, car le législateur lui-même offre la possibilité aux parties de cantonner la préemption par la SAFER aux seules parcelles agricoles, ce qui est somme toute logique. En effet, les parcelles boisées peuvent être soustraites du droit de préemption et l'acquéreur peut les conserver « si le prix de celles-ci fait l'objet d'une mention expresse dans la notification faî te à la SAFER » (a) in fine du 6° de l'article L. 143-4 du CRPM. Pour exclure, en cas de vente d'un fonds englobant plusieurs parcelles, le droit de préemption de la SAFER sur celles qui sont boisées, les parties doivent prendre l'initiative de ventiler le prix, et le notaire de le mentionner dans la notification qu'il va alors adresser à la SAFER.

Ici, il ne pouvait être question de ventiler le prix dans la mesure où encore une fois était vendu non pas plusieurs parcelles dont certaines boisées, mais un seul terrain qualifié de « mixte » car pour partie boisée. Alors convient-il -comme le suggère la Cour de cassation dans son attendu de principe - de regarder si la partie agricole est prépondérante, auquel cas le notaire devra notifier à la SAFER, en mesure de préempter le bien mixte.

D. Activité agricole : une notion à géométrie variable !

Civ. 2e, 4 juill. 2013, pourvoi n° 12-23.276 ; Rép. Min., JOAN Q, n° 33837, 3 sept. 2013, p. 9219.

Activité agricole - Définitions - CRPM, art. L. 311-1 ; CCH, art. L. 112-16.

50. Le ruraliste ne peut qu'être surpris à la lecture tant de l'arrêt rendu récemment par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation que d'une réponse ministérielle en date du 3 septembre 2013, dans des matières que l'on pourrait juger à la périphérie de l'activité agricole, puisqu'il s'agissait pour la première d'un litige relatif à un trouble anormal de voisinage et pour la seconde des modalités de délivrance des autorisations de construire en zone agricole.

51. Pendant des siècles, l'activité agricole, acte essentiellement civil par opposition au commerce, n'a pas posé de problème majeur de définition. Mais avec le développement des techniques agronomiques, le jour où l'on s'est mis à élever des animaux ou produire des végétaux « hors sol », le jour où l'agriculteur a diversifié ses activités, il est forcément devenu plus délicat de cerner la notion d'« activité agricole ».

Un espoir est apparu lorsque le législateur, en 1988, s'est employé à définir l'activité agricole (CRPM, art. L. 311-1) sauf que, d'une part, il n'a pas voulu donner à cette définition juridique une application généralisée et, d'autre part, les différentes branches du droit, privé ou public, traitant de la situation agricole se sont employées à préserver leur autonomie.

Selon l'article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime, sont agricoles les activités « par nature » (maî trise et exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle), par « rattachement » (activités dans le prolongement de l'acte de production : ex. la vente directe), ayant « pour support l'exploitation » (ex. la ferme auberge) et enfin celles par « détermination de la loi » (1997 : les cultures marines, 2005 : les activités équestres et 2010 : la méthanisation à la ferme).

52. À la lumière du droit social agricole, la définition (consistant en une liste « à la Prévert ») est plus large (CRPM, art. L. 722-1 et s.), englobant autour des agriculteurs au sens traditionnel des professions de nature diverse (ex. travaux forestiers) qui sont seulement en relation avec l'agriculture. Sur le plan fiscal agricole, il n'y a pas de définition et le législateur utilise d'ailleurs alternativement les adjectifs « agricole » et « rural », exprimant là encore une vision très extensive qui cherche à appréhender les « bénéfices imposables de l'exploitation », c'est-à-dire les revenus que l'exploitation de biens ruraux procure aux fermiers ou aux propriétaires exploitants eux-mêmes.

53. Or, le droit immobilier suggère encore d'autres lectures de la notion d'activité agricole. Ainsi la Cour de cassation vient-elle de refuser le bénéfice dit de préoccupation (visé à l'article L. 112-16 du Code de la construction et de l'habitation, qui prévoit qu'une activité - agricole, artisanale, industrielle … - causant aux occupants d'un bâtiment des nuisances n'ouvre pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant, dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions) à un couple d'éleveurs de paons au motif surprenant que l'animal n'est plus « depuis bien longtemps considéré comme un animal destiné à l'alimentation humaine ».

54. Il n'y aurait donc que ce qui se mange qui serait agricole ! Voilà qui réduirait drastiquement la portée de la définition juridique de l'activité agricole. L'on pense que la Cour a plutôt voulu, sans le dire, distinguer entre l'élevage à caractère professionnel, activité agricole justifiant l'application de l'article L. 112-16 du [p. 17] Code de la construction et de l'habitation, et celui qui est pratiqué à titre de pur loisir et ne permettant pas par conséquent de revendiquer le bénéfice du principe de préoccupation.

55. Mais alors qu'est-ce qu'un élevage professionnel ? Dans un secteur particulier, celui du cheval, le Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt apporte une réponse qui peut là encore surprendre. Afin de préserver le foncier agricole, le Code de l'urbanisme déclare inconstructibles les zones agricoles dites « zones A ». Par dérogation, peuvent être autorisées dans ces zones les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole. Sont ainsi envisageables les bâtiments d'exploitation et d'habitation répondant par leurs fonctionnalités et leurs dimensions aux besoins de l'exploitation agricole. Or l'on a pu voir certains entrepreneurs privés faire l'acquisition de quelques animaux afin de se déclarer centre équestre, donc activité agricole depuis la loi du 23 février 2005, dans le seul but d'obtenir légalement la possibilité de construire sur le terrain possédé et situé en zone agricole. Aussi le Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a-t-il été interrogé pour savoir s'il ne serait pas envisageable de mettre en place des seuils afin de limiter les abus que l'on peut constater en matière de construction en zone agricole.

Ce à quoi il vient de répondre que s'il n'y a que des chevaux, l'élevage doit en comporter au moins 10 pour être qualifié « d'exploitation agricole », en faisant référence à un arrêté du 21 février 2007 qui fixe une équivalence en termes de surface minimale d'installation (SMI) pour l'exercice de ces activités développées dans le cadre d'atelier hors-sol. Et d'ajouter qu'un logement ne peut être autorisé que si des soins constants aux animaux sont nécessaires, ce qui signifie la présence de « femelles reproductrices ». La simple surveillance d'animaux ne saurait entraî ner un besoin de logement. À bon entendeur salut ! Selon le Ministre, l'administration et les juridictions administratives devraient retenir comme seuil de délivrance d'un permis de construire en zone agricole pour les besoins de l'exploitation… la présence d'au moins dix chevaux, dont une poulinière !

Mais il ne s'agit là que d'une réponse ministérielle, à mettre en perspective de décisions rendues par les juridictions administratives quelques mois auparavant, certes dans des secteurs différents puisqu'il s'agissait de producteurs de safran ou de champignons.

56. Le Tribunal administratif puis la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 7 mars 2011, n° 10BX00649) ont eu l'occasion de rejeter la décision de refus d'un permis de construire en zone agricole sollicité par un producteur de champignons, au motif que l'administration aurait dû tenir compte d'au moins trois éléments pour répondre favorablement : la qualité d'exploitant du pétitionnaire, qui était inscrit à la mutualité sociale agricole depuis 15 ans ; un courrier de la chambre d'agriculture indiquant que la culture ici de champignons, par sa fragilité, son conditionnement délicat nécessite une présence sur place permanente... or, l'intéressé ne disposait pas d'une habitation à proximité de l'exploitation en cause. C'est la combinaison de plusieurs éléments qui seule est susceptible de convaincre les juges. Pour preuve, les scieurs de bois et les bûcherons exercent des activités relevant de la mutualité sociale agricole, et pourtant leurs activités ne relèvent de la définition de l'activité agricole telle qu'elle est proposée à l'article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime. Aussi la construction d'un hangar destiné au stockage du bois ou encore de maisons d'habitation pour les bûcherons a-t-elle pu être refusée en zone agricole d'un plan local d'urbanisme.

57. À propos de la culture de safran, la Cour administrative d'appel de Marseille a pu, à diverses reprises (CAA Marseille, 9 oct. 2009, n° 07MA02537 ; CAA Marseille, 27 janv. 2011, n° 08MA03244), indiqué qu'il n'est pas établi que « par la seule mention de la valeur marchande » du safran, l'exploitation en cause serait exposée à un risque élevé de vols … qu'un logement sur place permettrait d'éviter. Décision, pour la première de 2009, censurée par le Conseil d'État (CE, 7 nov. 2012, n° 33424) pour erreur de droit validant le refus de permis de construire opposé à cette exploitation agricole.

Ce fut l'occasion pour la haute juridiction administrative de préciser à nouveau les éléments propres à caractériser « la construction nécessaire à l'exploitation agricole », formule usuelle des documents d'urbanisme. Le lien de nécessité qui est exigé pour admettre de manière dérogatoire la construction en zone A « doit, de manière essentielle, s'apprécier au vu des exigences particulières de l'activité agricole ». Or dans l'affaire en litige, la culture du safran nécessite que la fleur soit cueillie à un moment précis de la croissance de la plante. Les stigmates récoltés doivent sécher à l'air libre. La valeur des bulbes et de l'épice récoltée suscite la convoitise ! Autant d'éléments pour le Conseil d'État qui imposent une surveillance permanente de l'exploitant. Et d'ajouter qu'en l'espèce, la petite surface cultivée (moins de 1 000 mètres carrés) n'est pas significative dès lors que le producteur y consacre l'essentiel de son temps (ici de mai à novembre) pour un chiffre d'affaire significatif (en l'occurrence de 15 000 euros).

58. Autant d'approches que de matières finalement, ce qui a pu légitimement faire dire à certains que l'activité agricole c'est une « mosaïque de solutions »… dans laquelle il devient difficile pour l'interprète de s'y retrouver.

E. Dans quel délai le bailleur peut-il agir pour contester la dévolution successorale du bail rural ?

Civ. 3e, 24 avril 2013, pourvoi n° 12-14.579.

Bail rural - Transmission à cause de mort - Non-conformité avec le contrôle des structures - Délai pour agir - C. civ., Art. 1742 - CRPM, art. L. 411-34.

59. L'article L. 411-34 déroge au droit commun des successions tel que prévu par le Code civil, pour organiser une dévolution successorale tout à fait particulière du bail rural. Ainsi le texte prévoit-il qu'en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, de son partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants « participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès ». Deux conditions doivent donc être satisfaites pour être le continuateur du preneur décédé : faire partie du cercle familial et avoir une compétence professionnelle avérée par une participation actuelle ou passée [p. 18] à l'exploitation objet du bail ; l'on parle alors de « continuateur privilégié ». En cas de demandes de plusieurs ayants droit, c'est le tribunal paritaire qui tranchera en considération des intérêts en présence et de l'aptitude des différents demandeurs à gérer l'exploitation et à s'y maintenir, un peu comme en matière d'attribution préférentielle.

60. Maintenant, les ayants-droit du preneur, compétents ou non, ont la faculté de demander la résiliation du bail, sous réserve d'agir dans les six mois à compter du décès de leur auteur.

La même faculté est accordée au bailleur lorsque le preneur ne laisse pas de conjoint ou d'ayant droit réunissant les critères familiaux et professionnels évoqués plus haut. Le bailleur doit donc réagir rapidement, à partir d'un évènement -le décès de son preneur- dont il n'est pas forcément informé de suite, s'il souhaite s'opposer à la dévolution successorale du bail à des héritiers non issus du cercle familial ou alors qui bien qu'en étant issus ne répondent pas aux exigences professionnelles.

Aussi résulte-t-il de la combinaison des articles 1742 du Code civil et L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime, qu'en l'absence de résiliation de la part du bailleur dans le délai de six mois à compte du décès du preneur, le droit au bail passe, sans restriction ni condition, aux héritiers de ce dernier ; l'absence de résiliation poursuivie par le bailleur dans le délai étant sanctionnée par une forclusion entraî nant pour le bailleur la déchéance du droit non exercé en temps utile.

61. En l'espèce, les bailleresses avaient fait délivrer congé aux époux co-preneurs au motif qu'ils avaient atteint tous les deux l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles. Congé contesté par les co-preneurs qui ont sollicité l'autorisation de céder leur bail à leur fils. Fils qui, postérieurement au décès de son père survenu au cours de l'instance, a demandé le bénéfice de la cession de bail pour cause de mort. Demande de cession pour cause de mort rejetée par les juges du fond qui déclarent valide le congé, alors que selon le requérant le bailleur avait laissé passer sans réagir le délai légal de résiliation et agi néanmoins postérieurement aux fins de faire échec à la transmission du bail au profit du fils au motif que ce dernier n'était pas en conformité avec le droit d'exploiter tel qu'il résulte du contrôle des structures.

C'est en cela que la décision est intéressante, apportant une réponse éclairante sur le délai de réaction du bailleur en cas de décès du preneur.

62. La question qui était finalement posée était celle de savoir si l'action en résiliation du bail pour cause de décès sur le seul fondement du contrôle des structures était enfermée dans le délai de 6 mois imposé par l'article L. 411-34. La solution est sans ambiguïté ; la Cour de cassation confirme le bien-fondé de la décision des juges du fond déboutant le fils de sa demande de continuation et déclarant le congé valable. Ils ont « exactement retenu, l'absence d'exercice par le bailleur de son droit légal de résiliation étant à cet égard indifférente, que la continuation du bail au profit de l'ayant droit du preneur décédé ne pouvait intervenir que si celui-ci présentait une situation régulière au regard du contrôle des structures des exploitations agricoles » … ce dont le fils du preneur décédé ne pouvait en l'espèce se prévaloir.

Maintenant, il avait déjà été jugé que la seule qualité d'ayant droit ne dispensait pas de se conformer à la réglementation des structures(34).

63. Alors quels enseignements tirés de cette position, confortée, de la jurisprudence en matière de dévolution de succession anomale telle qu'elle est prévue par l'article L. 411-34. C'est notamment, et certains l'ont affirmé très tôt (cf. J.-P. Moreau), que le statut du fermage ne saurait être déconnecté d'autres règlementations, soit-elles administratives, applicables à l'exploitation agricole.

Du reste, l'on sait que le bail rural n'est valable que si son bénéficiaire est en conformité avec le contrôle des structures ; à défaut il encourt à tout instant la nullité, qui pourrait être invoquée par le bailleur bien sûr, mais également par le préfet en charge de cette réglementation et encore, prévoit la loi, par la SAFER qui se verrait opposer un bail rural pour repousser son droit de préemption prioritaire. Dès lors, il est logique que tant le locataire initial que celui [p. 19] qui viendrait à lui succéder, de son vivant ou à cause de mort, soit en conformité avec la législation applicable en matière de contrôle des structures.

64. Il est nécessaire pour les continuateurs du bail, qu'ils soient privilégiés ou non, de disposer -si nécessaire- d'une autorisation d'exploiter ou de procéder à une déclaration s'agissant d'opération à caractère familiale. Sans quoi le bailleur pourra-t-il faire valoir cette non-conformité au contrôle des structures pour s'opposer à la cession pour cause de mort ; comme d'ailleurs il pourrait l'utiliser pour s'opposer à une cession entre vifs. La logique du contrôle des structures, qui est de contrôler le fait d'exploiter et la personne de l'exploitant peu importe le titre sur lequel s'appuie l'exploitation, est respectée.

65. Reste des questions sans réponse ! Quel est le fondement de cette action du bailleur en résiliation du bail, puisque l'on est hors le cas prévu littéralement par l'article L. 411-34 ? Et dans la foulée, puisque l'action sur le fondement de défaut en conformité avec le contrôle des structures n'est pas enfermée dans le délai légal de six mois, peut-on imaginer un délai au-delà duquel le bailleur serait forclos pour agir ? Attendons de nouvelles décisions qui peut être apporteront un éclaircissement sur ces points.

D. R.