Chroniques baux janv 2014
Eric SAVAUX Professeur à l'Université de
Poitiers - Équipe de recherche en droit privé (EA
1230)
Rose-Noëlle SCHÜTZ Professeur à l'Université de
Poitiers - Équipe de recherche en droit privé (EA
1230)
Denis ROCHARD Maî tre de conférences HDR -
Université de Poitiers Directeur de l'Institut de Droit Rural et du
Master 2 Droit de l'activité agricole et de l'espace
rural et du Diplôme supérieur du notariat
Centre de recherche et d'étude sur
les territoires et l'environnement (EA 4237)
I. Bail
en général
A. Jurisprudence
1. Validité
de la clause d'indexation du loyer
Civ. 3e,
16 octobre 2013, pourvoi n° 12-16.335, Bull.
civ. III, à paraî tre.
Ne viole pas l'article L112-1
du Code monétaire et financier la clause d'indexation du
loyer d'un bail à usage exclusivement professionnel, dont
l'ambiguïté des termes avait rendu l'interprétation
nécessaire, dès lors que « les
parties étaient convenues de la révision du loyer
chaque année à la date anniversaire du contrat,
impliquant une évolution de l'indice sur douze mois, la
référence à l'indice du quatrième
trimestre 1987 n'étant que l'illustration de leur volonté
de prendre en compte les derniers indices publiés tant au
début qu'à la fin de la période concernée
par la révision ».
La clause qui prévoit
« une révision annuelle impérative »
a été souverainement interprété par
les juges du fond comme exprimant la volonté des parties
que l'indexation s'opère automatiquement chaque année
à la date anniversaire de la prise d'effet de la
location ».
1. La
validité de principe d'une clause d'indexation du loyer
inséré dans un bail d'immeuble même soumis
au statut du bail commercial ou à celui du bail
d'habitation principale ne fait aucun doute. À défaut
d'être interdite par ces statuts, elle est en effet fondée
sur la liberté contractuelle des parties. Elle est
cependant soumise aux conditions de validité de droit
commun de l'indexation conventionnelle tel qu'il résulte
des articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire
et financier. Sans surprise, elle doit donc, pour être
valable, présenter un rapport direct avec l'activité
de l'une des parties ou l'objet du contrat, l'article L. 112-2
prévoyant que lorsque la convention est relative à
un immeuble bâti, son objet est réputé en
relation directe avec l'indice national du coût de la
construction publié par l'INSEE. Cette première
condition est en général remplie par les clauses
d'indexation du loyer, les parties retenant souvent, par
sécurité, l'indice du coût de la
construction ou l'indice de référence des loyers
s'il s'agit d'un bail d'habitation ou désormais l'indice
des loyers commerciaux ou l'indice des loyers des activités
tertiaire pour les baux ayant pour objet des bureaux ou des
locaux à usage exclusivement professionnel.
Il demeure, en revanche, des
interrogations concernant la validité des clauses
d'indexation ne jouant qu'à la hausse ou celles
comportant un indice à base fixe : doctrine et
juridictions du fond sont partagés alors que la Cour de
cassation n'a pas encore clairement statué sur la
validité de telles clauses. L'arrêt commenté
rendu le 16 octobre 2013 par la troisième chambre civile
de la Cour de cassation, saisi de la validité d'une
clause comportant un indice à base fixe, fondé sur
l'interprétation souveraine de cette clause par les juges
du fond, ne pose malheureusement pas encore de principe clair en
la matière.
2. Un bail
à usage exclusivement professionnel, prenant effet le
1er juillet 1988 pour une durée de 9 ans,
avait été renouvelé sans qu'il ne soit rien
changé aux clauses et conditions du précédent
bail qui contenait une clause stipulant que « le
loyer sera révisé chaque année le premier
juillet. Indice de référence : 4ème
trimestre 1987. Valeur 890 ». Jusqu'en 2005,
aucune indexation n'ayant été appelée, le
gestionnaire de l'immeuble avait alors procédé à
un rappel des sommes dues par le jeu de la clause d'indexation
entre juillet 2000 et juillet 2005, pour respecter les
limites résultant de la prescription quinquennale de
l'ancien article 2277 du Code civil
À la suite d'un
commandement de payer et d'un congé délivré
par le bailleur, le locataire assigne ce dernier en contestation
du congé et en restitution des sommes payées au
titre de la révision du loyer. Débouté par
la Cour d'appel de Paris de cette demande de remboursement, le
preneur forme un pourvoi devant la Cour de cassation, en se
fondant sur deux moyens. À titre principal, il conteste
la validité de la clause d'indexation pour violation de
l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier.
Pour le cas où la clause serait néanmoins déclarée
valable, Il critique le « rattrapage [p.
3] des loyers » de juillet
2000 à 2005, au motif que la cour d'appel en déduisant
le caractère automatique de l'indexation annuelle du
loyer a dénaturé les termes de la clause de
révision du loyer.
3. L'article
L. 112-1, alinéa 2, énonce qu'« est
réputée non écrite toute clause d'un
contrat à exécution successive, et notamment des
baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en
compte d'une période de variation de l'indice supérieure
à la durée s'écoulant entre chaque
révision ». Autrement dit, pour être
valable, l'indice de base ne peut être fixe : les
parties peuvent bien choisir comme indice de référence
celui du 4ème trimestre mais pas un indice
définitivement daté, par exemple, comme dans
l'espèce commentée, celui de l'année 1987.
Ainsi, si l'indexation est annuelle, ce qui est fréquent
en matière de baux commerciaux ou professionnels, et
obligatoire s'il s'agit d'un bail d'habitation soumis à
la loi du 6 juillet 1989 (Art. 17d), à chaque
révision, le loyer variera en fonction de la différence
entre l'indice de l'année précédente et
celui de l'année en cours. En revanche, si l'indice de
base est fixe, dès la deuxième indexation, la
période de variation indiciaire retenue est d'une durée
supérieure (2 ans) à celle s'étant
écoulée entre les deux révisions (un an).
Cependant, si un indice de base
immuable est retenu mais qu'il s'applique à chaque
nouvelle révision au loyer initial, cela reviendra en
principe au même que si la seule variation annuelle de
l'indice avait été appliquée au loyer tel
qu'il résulte des précédentes révisions.
La clause sera contraire à la lettre du texte mais pas à
son esprit, sauf dans quelques cas exceptionnels ou cette
méthode aboutirait à la neutralisation de toutes
les modifications du loyer intervenues en cours de bail
résultant d'une loi de blocage, d'un avenant des parties
ou d'une révision judiciaire(1).
En revanche, si la variation entre un indice de base immuable et
l'indice de l'année de la révision s'applique au
loyer déjà révisé ou renégocié,
cela entrainera une augmentation excessive et artificielle du
loyer. Ainsi, dans une affaire jugée récemment par
la Cour d'appel de Paris, les parties avaient modifié,
par avenant, trois ans après sa fixation, le prix du
loyer pour tenir compte d'une extension des locaux loués
mais dès la première révision, le bailleur
avait appliqué la variation entre l'indice de base fixe
et l'indice de l'année prenant ainsi en compte une
variation de l'indice de quatre années alors que la
révision intervenait seulement un an après la
fixation conventionnelle du nouveau loyer(2).
4. La Cour
d'appel, dans l'affaire commentée, ne tranche pas la
question de la validité des clauses retenant un indice de
référence fixe mais se fonde sur l'ambiguïté
des termes de la clause pour procéder à son
interprétation. Elle relève que « les
parties étaient convenues de la révision du loyer
chaque année à la date anniversaire du contrat,
impliquant une évolution de l'indice sur douze mois, la
référence à l'indice du quatrième
trimestre 1987 n'étant que l'illustration de leur volonté
de prendre en compte les derniers indices publiés tant au
début qu'à la fin de la période concernée
par la révision ». La Cour de cassation
qui relève l'absence de dénaturation de la clause,
rejette alors sans surprise le pourvoi. L'ambiguïté
de la clause n'était cependant pas évidente
puisqu'elle se référait expressément à
l'indice de référence fixe de l'année 1987
alors que le contrat prévoyait une révision
annuelle. Par sa lettre au moins, elle était contraire à
l'article L. 112-1. Néanmoins, le bailleur avait
appliqué la clause comme s'il s'agissait d'un indice de
référence glissant en retenant pour chaque
révision annuelle l'indice de base du 4ème
trimestre de l'année précédente. C'est donc
sans doute de l'application effective de la clause que la Cour
d'appel déduit la volonté des parties de ne pas
retenir un indice de base fixe. Ce raisonnement permet de sauver
la clause d'indexation de la nullité mais il ne tient que
si l'on veut bien admettre que la clause est ambiguë. Il
s'agit alors d'une interprétation in favorem telle
que le préconise l'article 1157 du Code civil.
Cette décision de la Cour
d'appel de Paris peut aussi être considérée
comme les prémisses de la solution qu'elle va ensuite
retenir dans une série d'arrêts d'avril 2012(3).
Elle y abandonne l'application littérale de l'article
L. 112-1 du Code monétaire et financier. Elle
considère qu'en principe ce texte n'interdit pas la prise
en considération d'un indice de base fixe mais ne prohibe
que la clause d'indexation organisant une distorsion entre la
période de variation de l'indice et la durée
s'écoulant entre deux révisions. Comme le dit un
auteur : « La sanction est ainsi subordonnée
à une condition supplémentaire qui lui permet de
trier les bonnes et les mauvaise clauses »(4).
Elle écarte donc l'application stricte de l'article
L. 112-1, chaque fois que l'on aboutit à un loyer
révisé identique, que l'indice de base soit fixe
ou non(5).
5. L'arrêt
rendu par la Cour de cassation ne peut pas, sans une
extrapolation excessive, être considéré,
comme approuvant cette dernière jurisprudence de la Cour
de Paris puisque l'arrêt qui était soumis à
son appréciation, fondé sur l'ambiguïté
de la clause, aboutissait à considérer que les
parties n'avaient pas voulu retenir un indice de référence
à base fixe mais bien un indice glissant. Il faut donc
attendre que la Cour de cassation statue sur les pourvois
postérieurs formés contre certaines des décisions
plus récentes rendues par la Cour d'appel de Paris, pour
savoir si elle approuvera l'interprétation que celle-ci
fait de l'article L. 112-1 du Code monétaire et
financier.
Quoiqu'il en soit, même si
la Cour de cassation admet que ce texte n'interdit pas en
principe le recours à un indice de référence
immuable sauf distorsion entre la période de variation de
l'indice et la durée s'écoulant entre deux
révisions, les praticiens seraient bien avisés de
ne plus proposer une telle indexation. En effet, soit son
application aboutira au même résultat que celle
résultant de l'application d'un indice glissant, soit
elle aboutira à un résultat différent qui
risque bien de constituer la distorsion prohibée ;
le locataire pourra alors demander la nullité de la
clause d'indexation et la restitution de l'indu. Pourquoi
prendre un tel risque alors qu'il ne peut jamais en résulter
un véritable avantage pour le bailleur ?
R.-N.S.
[p. 4]
2. Colocation - Effets - Congé de l'un des copreneurs -
Absence de clause de solidarité - Possibilité pour
l'un des copreneurs de donner congé seul (oui) - Effets
du congé - Poursuite du bail sur l'ensemble des locaux
avec le copreneur restant - Obligation de payer l'intégralité
du loyer en contrepartie de la jouissance de l'ensemble des
locaux (oui) (1re
espèce).
Colocation - Effets - Départ
de l'un des copreneurs sans congé - Effets - Absence de
clause de solidarité - Indivisibilité de la dette
de loyers (non) - Obligation du locataire restant de payer
l'intégralité du loyer (non) (2e espèce).
Civ. 3e,
30 octobre 2013, pourvoi n° 12-21973, Bull.
civ. III, à paraî tre
Ayant à bon droit
retenu que, le bail disposant que le preneur avait la faculté
de résilier le contrat de location à tout moment
sous réserve d'un préavis et ne prévoyant
aucune solidarité entre les locataires, un seul des
copreneurs pouvait donner valablement congé et le bail se
poursuivait alors avec le locataire restant sur l'ensemble des
locaux avec obligation de payer l'intégralité du
loyer en contrepartie de leur jouissance, la cour d'appel,
relevant que la locataire restante jouissait de l'intégralité
des locaux, en a exactement déduit qu'en suite du congé
délivré par l'un des colocataires, le contrat
était poursuivi avec la seule locataire restante qui
devait payer l'intégralité du loyer.
Civ 3e,
30 octobre 2013, pourvoi n° 12-21.034,
Bull. civ. III, à paraî
tre
Viole les articles 1202 et
1222 du Code civil, l'arrêt qui, pour condamner le
colocataire restant dans les lieux après le départ
sans congé de l'autre copreneur, au payement de la
totalité d'un solde de loyers échus, retient
qu'une dette de loyer est indivisible entre des colocataires,
dans la mesure où elle est la contrepartie du droit de
jouissance des biens donnés à bail, droit qui est
lui-même indivisible, alors que le bail ne stipulait pas
la solidarité entre les preneurs et que la dette de loyer
n'est pas par elle-même indivisible.
6. Ces
deux arrêts rendus par la troisième Chambre civile
de la Cour de cassation le 30 octobre dernier statuent sur
l'une des questions les plus importantes posées par une
situation elle-même assez complexe(6) :
l'étendue de l'obligation de payer le loyer en cas de
colocation dans le cas particulier du départ de l'un des
locataires et de maintien dans les lieux de l'autre. Ils mettent
en œuvre des notions fondamentales du régime des
obligations - la solidarité et l'indivisibilité
- pour aboutir à des résultats à première
vue contradictoires qui s'expliquent en réalité
par la différence d'approche de la question et de
terrains sur lesquels les juges se sont situés pour
trancher la difficulté.
7. Au
départ, la situation est la même dans les deux cas.
Une société civile immobilière consent un
bail professionnel à deux colocataires. Par la suite,
l'un d'entre eux quitte les lieux, en délivrant
régulièrement congé dans le premier cas,
sans congé mais, apparemment, avec l'accord du bailleur
dans le second. L'autre locataire reste dans les lieux, celui-ci
donnant à son tour congé environ deux ans plus
tard dans l'affaire ayant donné lieu au second arrêt.
Cela ne modifie cependant pas fondamentalement les données
du problème. Dans les deux cas, le bailleur réclame
au colocataire resté dans les lieux le payement de
l'intégralité des loyers dus après le
départ du copreneur, la demande étant simplement
limitée, par la force des choses, à l'arriéré
de loyers dus entre le départ du premier locataire et
celui du second dans l'arrêt n° 12-21.034. Dans
les deux affaires, les juges du fond accueillent la demande du
bailleur et condamnent le locataire resté dans les lieux
à payer l'intégralité des loyers dus pour
le temps où il a continué à jouir de
l'immeuble. Sur pourvoi formé par les locataires
condamnés, la troisième Chambre civile rend un
arrêt de rejet dans l'une des affaires (n° 12-21973),
de cassation dans l'autre (n° 12-21034). A priori,
cela pourrait inciter à croire que la troisième
Chambre civile juge, le même jour, d'un côté,
que le colocataire resté dans les lieux doit l'entier
loyer, de l'autre qu'il ne peut pas être condamné à
le payer, instaurant ainsi une contradiction au sein de sa
jurisprudence. Tel n'est évidemment pas le cas. Il existe
des raisons qui rendent les décisions parfaitement
justifiées et cohérentes.
8. Avant
de les examiner, il faut s'arrêter un instant sur un
préalable important, évoqué par le premier
arrêt, qui n'est pas au cœur du contentieux vidé
par les arrêts mais qui intéresse grandement la
pratique des huissiers de justice. Il consiste à savoir
dans quelle mesure des colocataires peuvent donner congé,
plus précisément de déterminer si l'un
d'entre eux peut le faire seul. Sur ce point, dans l'affaire
n° 12-21973, le locataire resté en place
soutenait que dès lors que le bail ne prévoyait
pas de possibilité de résiliation partielle par
l'un des copreneurs, celui qui donne congé en cours de
bail reste tenu du paiement de sa part de loyer nonobstant
l'absence de clause de solidarité. La troisième
Chambre civile lui rétorque que le bail disposant que le
preneur avait la faculté de résilier le contrat à
tout moment et ne prévoyant aucune solidarité
entre les locataires, un seul des copreneurs pouvait donner
valablement congé et le bail se poursuivait alors avec le
locataire restant sur l'ensemble des locaux avec obligation de
payer l'intégralité du loyer en contrepartie de
leur jouissance. La motivation est mêlée de
cotitularité du bail et de solidarité, de la
possibilité de donner congé pour l'un des
colocataires et de ses effets sur l'obligation de payer le loyer
de l'autre. Il faut clarifier.
En principe, la solidarité
passive ne constitue qu'une modalité de l'obligation qui
empêche la division de la dette entre les codébiteurs
et permet au créancier de réclamer le paiement à
n'importe lequel d'entre eux. Elle concerne donc exclusivement
les obligations pesant sur les locataires : en pratique, le
paiement du loyer, des charges et des autres sommes qui
pourraient être dues par les locataires, parfois
l'ensemble des obligations découlant du bail, encore que
pour certaines d'entre elles la stipulation de solidarité
soit inutile s'agissant d'obligations indivisibles(7).
En tout cas, la stipulation de solidarité n'affecte en
aucune manière [p. 5]
la possibilité de donner congé, laquelle dépend
exclusivement de la convention des parties ou des dispositions
de la loi(8).
S'agissant, en l'espèce, d'un bail professionnel, il n'y
a pas de dispositions impératives régissant le
congé du locataire(9).
Les parties étaient donc libres de prévoir que le
locataire pouvait donner congé à tout moment.
L'existence de cette stipulation claire semble, à
première vue, rendre largement assez vain l'argument du
copreneur resté en place invoquant l'absence de prévision
d'une faculté de résiliation partielle du bail. En
présence de la clause précitée, ce silence
du contrat n'interdisait évidemment pas au copreneur de
résilier le bail. Son congé mettait fin au bail
pour ce qui le concerne : il ne pouvait plus prétendre
à la jouissance des lieux et, corrélativement, il
n'était plus tenu des obligations en découlant,
particulièrement du paiement des loyers(10).
Mais à vrai dire, le
copreneur resté dans les lieux ne contestait pas la
possibilité pour son colocataire de mettre fin au bail ;
il en critiquait seulement les effets tirés à son
égard par les juges du fond.
9. Sur ce
point, l'auteur du pourvoi soutenait que la cour d'appel aurait
ajouté aux termes clairs et précis du bail et
violé l'article 1134 du Code civil en énonçant
que la solidarité entre les locataires n'étant pas
prévue, chacun pouvait valablement donner congé à
charge pour l'autre de payer l'intégralité des
loyers. La Cour lui répond que, compte tenu des
stipulations précédemment analysées, un
seul des copreneurs pouvait donner valablement congé et
le bail se poursuivait avec le locataire restant sur l'ensemble
des locaux avec obligation de payer l'intégralité
du loyer en contrepartie de leur jouissance. La troisième
Chambre civile fait produire ici un effet presque mécanique
au congé du locataire, qui mériterait d'être
dans certains cas précisé ou nuancé, ainsi
que certaines précisions des motifs le suggèrent.
10. Sur le
principe, la solution est bonne. Dès lors que l'un des
colocataires met fin régulièrement au bail, il
n'en reste plus qu'un qui jouit de l'intégralité
des lieux et qui doit donc payer en contrepartie l'intégralité
du loyer, même si le bail prévoyait expressément
un payement partiel, tel celui de la moitié du loyer en
l'espèce. Il faut quand même noter que se produit
alors, par l'effet du congé du colocataire partant, une
modification substantielle du bail, tant pour ce qui concerne la
jouissance des lieux - leur intégralité au lieu de
seulement une partie antérieurement - que le prix du bail
- la totalité du loyer au lieu d'une fraction -, qui
mériterait d'être analysée plus avant,
notamment pour ce qui concerne la faculté de l'imposer au
colocataire ou, vu sur l'autre versant, l'obligation pour lui de
la subir.
À moins de considérer
que la volonté - le consentement tacite- du colocataire
restant se trouve dans l'un deux comportement suivants : au
début de la relation, l'acceptation de la colocation avec
une clause de résiliation unilatérale au profit de
chaque locataire ; à son terme, le fait de jouir
seul de l'ensemble des locaux loués. En effet, la
troisième Chambre civile affirme clairement que
l'obligation de payer l'intégralité du loyer est
la contrepartie de la jouissance de l'ensemble des locaux et
elle note que les juges du fond ont constaté que la
preneur restant jouissait de l'intégralité des
locaux et qu'ils en ont déduit exactement que le bail
s'était poursuivi avec le seul colocataire n'ayant pas
donné congé, qui devait donc payer l'intégralité
du loyer. Autrement dit, l'obligation au tout du locataire
restant -pour ne pas évoquer la poursuite du bail même
- paraî t subordonnée à une condition
essentielle : que le locataire ait la jouissance de la
totalité des locaux. La condition paraî t a priori
mal formulée car, en cas de colocation, les copreneurs ne
jouissent-ils pas ensemble de la totalité des locaux
justement ? Ne faudrait-il pas invoquer plutôt une
jouissance privative, exclusive, au lieu d'une jouissance
commune ou partagée ? La formule serait sans doute
plus exacte pour décrire l'absence de concurrence de la
jouissance sur l'ensemble du bien. Mais en pratique, on sait
bien que la colocation d'un immeuble plus ou moins vaste
s'accompagne en réalité d'une division, d'une
attribution des parties aux différents colocataires. Dans
un bail d'habitation : à Paul la chambre de droite,
à Jaques celle de gauche, à tout deux l'entrée,
la cuisine et la salle de bains. Pour un bail
professionnel entre avocats, comme en l'espèce :
à Maî tre X, le bureau sur la rue, à
Maî tre Y, celui sur cour, ensemble, les locaux du
secrétariat et des archives. Quid, alors si le
copreneur restant n'a pas la jouissance de la partie de
l'immeuble qu'il n'occupait pas personnellement ? Sans
doute faut-il distinguer comme le suggère certains
aspects de l'arrêt dans le détail desquels il n'est
pas possible d'entrer. Si la privation de jouissance d'une
partie de l'immeuble n'est pas le fait du copreneur restant,
mais celui du bailleur ou, moins évidemment du partant,
sans doute celui-ci ne peut-il pas être tenu au tout. Si,
au contraire, elle lui est imputable, parce qu'il n'utilise pas
ces locaux, ce n'est pas une cause de libération
partielle. Après le congé du copreneur, le
locataire restant a, en vertu du bail dont il est désormais
seul titulaire, la possibilité de jouir de l'intégralité
des locaux. S'il ne le veut pas ou ne le peut pas, il lui
appartient, comme l'on dit les juges du fond dans l'une des deux
affaires, de trouver un autre locataire ou de donner congé.
La situation du locataire
restant n'est donc pas encore totalement élucidée.
Retenons quand même que, pour la troisième chambre
civile, l'obligation du colocataire restant de payer
l'intégralité du loyer est apparemment subordonnée
à la jouissance de l'ensemble des locaux. L'exigence est
justifiée dans la mesure où, comme le rappelle la
Cour, le loyer est la contrepartie de la jouissance. On veut
bien admettre qu'à la suite du congé du copreneur,
celui qui reste soit obligé de payer tout le loyer, mais
c'est évidemment à condition qu'il puisse profiter
de l'avantage qu'il rémunère.
11. Mais
on ne saurait aller au-delà et suivre les juges du fond
dans l'analyse que le second arrêt (n° 12-21.034)
censure à juste titre. Ils avaient considéré
que, dans la mesure où la dette de loyer [p.
6] est la contrepartie du droit de jouissance des
biens donnés à bail, lui-même indivisible,
elle est indivisible. L'effet est alors le même que celui
de la solidarité : le créancier peut réclamer
la totalité de la dette à l'un quelconque des
débiteurs(11),
donc, en l'occurrence l'ensemble des loyers dus après le
congé au colocataire resté preneur. En jugeant de
la sorte, la cour d'appel commettait une erreur importante sur
les sources de l'indivisibilité et sur la portée
de l'interdépendance entre les obligations découlant
d'un contrat synallagmatique.
Selon l'analyse classique,
l'indivisibilité est soit naturelle (ou objective), soit
conventionnelle (ou subjective)(12).
Dans le premier cas, l'indivisibilité découle de
la nature de la chose, qui n'est pas susceptible d'exécution
partielle, comme la livraison d'une toile de Maî tre. Tel
n'est jamais le cas d'une obligation de somme d'argent dont le
paiement peut toujours être fractionné. En dehors
de cette hypothèse, l'indivisibilité peut résulter
des stipulations d'une convention, qui, au demeurant, accompagne
souvent une clause de solidarité afin d'éviter la
division de la dette entre les héritiers des codébiteurs.
En l'espèce, il n'existait aucune clause de solidarité
ni d'indivisibilité. La dette était donc conjointe
entre les copreneurs(13).
Le fait qu'elle soit la
contrepartie d'une obligation elle-même indivisible n'y
change rien. L'interdépendance des obligations découlant
d'un contrat synallagmatique fonde bien certaines règles
particulières : la nullité pour absence ou
illicéité de la cause lorsque l'objet de l'autre
obligation n'existe pas ou est contraire à l'ordre public
ou aux bonne mœurs, l'exception d'inexécution, la
résolution pour inexécution... Mais pas la
contagion de l'indivisibilité - ni de la solidarité
- d'une obligation à l'autre. Celle-ci ne dépend
que des seules caractéristiques de l'objet de
l'obligation concernée.
Les juges du fond avaient donc
été très mal inspiré de justifier
ainsi l'obligation au tout du colocataire n'ayant pas délivré
congé. Ils auraient mieux fait de raisonner comme ceux de
la première espèce. C'est cette différence
de raisonnement qui explique le traitement opposé qui a
été réservé à leurs décisions
par la troisième chambre civile dont les arrêts ne
sont donc pas contradictoires.
12. Ces
décisions permettent donc de préciser un peu le
régime de la colocation, qui fourmille encore de
questions pas ou mal résolues (par exemple, sur les
conditions et l'étendue des sanctions encourues par les
colocataires en cas de manquement à leurs obligations par
l'un d'entre eux). Ce n'est pas l'adoption éventuelle du
projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme
rénové qui permettra de les résoudre. Dans
le dernier état tel qu'il résulte du vote du Sénat
le projet (art. 8-1, II de la loi du 6 juillet 1989),
donne une définition de la colocation(14)
qu'il soumet à quelques règles impératives :
respect d'un contrat-type établi par décret,
possibilité de souscription d'une assurance pour compte
par le bailleur, réglementation de la récupération
des charges locatives, conditions de l'extinction de la
solidarité du colocataire qui donne congé(15)...
Rien sur les obligations du copreneur restant qui demeure, à
tort, un point aveugle de la colocation, le sort de celui qui
reste méritant (au moins) autant d'attention que celui de
celui qui part.
E.S.
II. Baux
d'habitation et baux à usage mixte professionnel et
d'habitation
A.
Jurisprudence
1. Bail
soumis à la loi du 6 juillet 1989 - Décès
du locataire - Transfert du bail au conjoint survivant (art. 14,
L. 6 juillet 1989) - Conditions - Transfert automatique
(non) - Nécessité d'une demande du conjoint
survivant.
Civ. 3e,
10 avril 2013, pourvoi n° 12-13.225, Bull.
civ. III, à paraî tre ; AJ
famille 2013, p. 313, obs. Levillain ;
L'essentiel droit de l'immobilier et de l'urbanisme,
1er juin 2013, n° 6, p. 6,
obs. B. Vial-Pedroletti ;
L'essentiel droit de la famille et des personnes,
13 juin 2013, n° 6, p. 5, obs. Douville.
Au décès du
preneur le bail est transféré au conjoint
survivant qui n'habite pas dans les lieux à condition
qu'il en fasse la demande. Ayant relevé que l'épouse
du locataire n'avait jamais occupé les lieux, n'était
pas cotitulaire du bail et avait autorisé le notaire et
la bailleresse à débarrasser et à reprendre
l'appartement, démontrant ainsi son intention non
équivoque de ne pas occuper le logement litigieux, la
cour d'appel en a exactement déduit que le bail avait été
résilié par le décès du locataire.
13. Bien
qu'un peu ancien, cet arrêt doit être signalé
en raison de l'importance et de la nouveauté de la
solution qu'il énonce, concernant les conditions de la
transmission du droit au bail au conjoint survivant du
locataire. Quelques imprécisions et risques de confusion
liés à sa motivation doivent être également
écartés pour en cerner exactement la portée.
14. En
l'espèce, un homme, séparé de sa femme
depuis une vingtaine d'années, prend à bail un
logement en 1995. Il décède onze ans plus tard.
Soutenant que le bail avait été automatiquement
transféré à son épouse en
application de l'article 14 de la loi du 6 juillet
1989, la SCI bailleur adresse à celle-ci un commandement
de payer visant la clause résolutoire, puis l'assigne en
constatation de la résolution du bail, payement des [p.
7] loyers arriérés et d'une indemnité
d'occupation. Les juges du fond ne font pas droit à cette
demande et le pourvoi intenté par le bailleur est rejeté
par le présent arrêt. À première vue,
on se dit que la justice et la morale ont triomphé :
qu'une épouse séparée de son mari depuis
plus de trente ans ne puisse pas se voir imposer le transfert du
bail, dont elle ne veut pas, par le propriétaire qui
manipule la loi à son avantage, voilà qui réjouit
le cœur et l'esprit. Mais il faut être sûr que
c'est bien de cela qu'il s'agit et que le bailleur ne s'est tout
simplement pas contenté d'invoquer une disposition
peut-être mal adaptée à certaines
situations. Tout dépend donc du contenu et de
l'interprétation des textes applicables. De ce point de
vue, l'arrêt du 10 avril 2013 paraî t, à
première vue, conforme à l'esprit de la loi, mais
un peu moins à sa lettre. Mais, en réalité,
celle-ci est moins claire qu'il n'y paraî t et la solution
que la troisième chambre civile énonce peut être
considérée comme lui étant aussi fidèle.
15. Deux
dispositions régissent le transfert du bail au conjoint
du preneur décédé. Elles ont toutes deux
été invoquées par le bailleur, l'une en
contrepoint de l'autre afin de justifier le transfert
automatique du bail qu'il soutenait.
La première est
l'article 1751, alinéa 3 du Code civil, ajouté
par la loi du 3 décembre 2001, qui prévoit
qu'en cas de décès d'un des époux, le
conjoint survivant cotitulaire (en application de l'alinéa
1er) du droit au bail du local, sans caractère
professionnel ou commercial, qui sert effectivement à
l'habitation des deux époux, dispose d'un droit exclusif
sur celui-ci, sauf s'il y renonce expressément.
La seconde est l'article 14
de la loi du 6 juillet 1989 qui dispose que « lors
du décès du locataire, le contrat de location est
transféré : - au conjoint survivant qui ne
peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du
Code civil ».
En présence d'un bail
portant, comme dans l'affaire ici jugée, sur un immeuble
à usage exclusif d'habitation, au décès de
l'un des époux, c'est donc de deux choses l'une : ou
bien le conjoint survivant occupe effectivement les locaux avec
l'autre, et c'est l'article 1751 qui s'applique. Ou bien
l'époux survivant ne cohabitait pas dans les lieux avec
le précédé, et c'est l'article 14 de
la loi qui peut fonder le transfert du bail à son profit.
En l'espèce, il n'y avait aucune hésitation à
ce sujet : les époux étaient séparés
depuis une trentaine d'années et la femme n'avait jamais
habité dans l'appartement. L'article 1751 était
donc hors de cause, comme le disait à juste titre le
bailleur. L'arrêt ne lui donne pas tort sur ce point, même
si, s'agissant d'une décision de rejet, il ne comporte
pas de visa et s'il n'indique pas expressément le texte
qu'il applique. Il n'y a guère de doute qu'il s'agit de
l'article 14 de la loi de 1989.
Reste donc à déterminer
dans quelles conditions le transfert du bail a lieu au conjoint
survivant en application de ce texte. Le bailleur soutenait que
le bail est transféré « de plein
droit » au conjoint survivant - donc, sans qu'il
ait à accomplir aucune formalité - et qu'il lui
appartient donc de donner congé au bailleur s'il ne veut
pas continuer le bail. La troisième chambre civile lui
oppose « qu'au décès du preneur, le
bail est transféré au conjoint survivant qui
n'habite pas dans les lieux à condition qu'il en fasse la
demande ».
16. En
énonçant ce principe, la troisième Chambre
civile indique très clairement, pour la première
fois, dans quelle condition se produit le transfert de bail
prévu par l'article 14 de la loi de 1989. En effet,
la référence expresse au conjoint qui n'habite pas
dans les lieux confirme que c'est bien ce texte que la Cour
applique et que la solution qu'elle énonce ne vaut pas
pour l'article 1751 du Code civil.
En exigeant clairement une
demande du bénéficiaire désigné par
la loi, l'arrêt met fin à un certain désordre
régnant au sein des juridictions du fond qui s'étaient
divisées sur la question(16)
et paraî t même aller contre une décision
antérieurement rendue par elle qui pouvait suggérer
le contraire(17).
17. Qu'est-ce
qui permet donc à la Cour de cassation d'affirmer
aujourd'hui catégoriquement qu'il faut que le conjoint
survivant demande le transfert du bail ?
Le principal argument paraî
t bien être l'esprit de la loi auquel la plupart des
commentateurs de l'arrêt font appel. Le législateur
a voulu que l'époux survivant qui n'est pas titulaire du
bail et qui n'occupe pas les lieux puisse, s'il le souhaite,
s'installer dans le logement qu'occupait son conjoint, pas que
le bailleur puisse le contraindre à le faire (ou à
donner congé) s'il n'en a pas envie. L'espèce
rapportée est d'ailleurs emblématique des
extrémités auxquelles on pourrait aboutir en
imposant le transfert puisqu'il s'agissait d'un époux
séparé depuis plus de trente ans de son conjoint,
n'ayant jamais occupé le logement et ayant assez
clairement manifesté son intention de ne pas occuper
l'immeuble.
La plupart des commentateurs ont
également fait observer qu'en revanche la solution
n'était peut-être pas absolument fidèle à
la lettre du texte. Son impérativité a été
signalée. En énonçant que « le
contrat de location est transféré »,
l'article 14 imposerait cette mutation que l'époux
survivant n'aurait pas à solliciter, et même qu'il
ne pourrait pas éviter(18).
Mais l'article 14 évoque
bien par ailleurs l'existence d'une demande. Chacun sait, en
effet, que le conjoint survivant n'est pas le seul à
pouvoir bénéficier du transfert du bail. La loi
prévoit au contraire une assez longue liste de
bénéficiaires : outre le conjoint survivant,
les descendants qui vivaient avec le locataire depuis au moins
un an, le partenaire pacsé, les ascendants, le concubin
notoire et les personnes à charge qui vivaient avec le
locataire depuis au moins un an. Le texte ne fixant pas de
priorité, l'article 14 prévoit qu'« en
cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des
intérêts en présence ».
Certes, pourrait-on [p. 8]
dire, la disposition considérée ne traite que du
cas de prétentions concurrentes sur le bail, pas du
principe même de son transfert. Mais, d'une part, on ne
voit pas en vertu de quoi il faudrait une demande dans certains
cas et pas dans d'autres(19).
D'autre part, et surtout, le texte semble bien exiger
implicitement, dans tous les cas, une demande des bénéficiaires.
18. La
troisième Chambre civile a donc bien jugé, non
seulement au regard de l'esprit de la loi, mais également
de sa lettre qui n'est pas aussi catégorique en sens
contraire qu'on a bien voulu le dire.
D'ailleurs, un autre argument
pourrait être tiré de la comparaison des techniques
respectives de l'article 1751 et de l'article 14 de la
loi de 1989. Le premier consacre d'abord une cotitularité
légale du droit au bail, nonobstant toute convention
contraire et même si le bail a été conclu
(par un seul des époux) avant le mariage. Autrement dit,
par l'effet de la loi, les époux sont réputés
être tout deux titulaires du bail. Le droit au bail
appartient à chacun d'entre eux. Au décès
de l'un des conjoints, le droit au bail appartiendrait donc au
conjoint survivant et aux héritiers du prédécédé
(art. 1742, C. civ.). C'est pour éviter cette
situation que la loi a attribué un droit exclusif au
conjoint survivant sur un bail qui lui appartenant déjà
pour partie. Il n'y a pas, à proprement parler, transfert
du bail au conjoint puisqu'il en était déjà
titulaire en vertu de la loi.
Rien de tel dans l'article 14 de
la loi du 6 juillet 1989. L'hypothèse visée
est au contraire celle dans laquelle l‘époux
survivant n'a aucun doit sur le bail qui a été
conclu par son conjoint seul. Au décès de ce
dernier, le droit au bail devrait échoir aux héritiers
en application de l'article 1742 du Code civil si la loi ne
disposait pas autrement. Elle le fait justement en prévoyant
une possibilité de transfert à une série de
personnes qu'elle désigne. Implicitement, la loi suggère
qu'elles doivent en faire la demande, et si plusieurs optent en
ce sens, c'est le juge qui tranche entre elles. Comme le juge
exactement l'arrêt rapporté, il n'y a pas de
transfert automatique, de plein droit. Il faut que le
bénéficiaire désigné par la loi le
demande.
19. De ce
point de vue, une ambiguïté qui pourrait naî
tre de la motivation de l'arrêt doit être levée,
pour terminer. Après les juges du fond, la cour de
cassation relève que l'épouse avait autorisé
le notaire et la bailleresse à débarrasser et à
reprendre le logement, démontrant ainsi son intention non
équivoque de ne pas occuper le logement litigieux. Ces
circonstances renforcent l'idée que le conjoint survivant
n'a pas demandé le transfert du bail, bien au contraire.
Mais il ne faudrait pas en déduire que le conjoint
survivant doit s'opposer au transfert du bail pour éviter
qu'il ne se produise. Le système consacré par
l'arrêt commenté est inverse : à défaut
de demande de l'époux survivant, le transfert du bail n'a
pas lieu.
E.S.
III. Bail
d'immeuble soumis au statut des baux commerciaux
A. Jurisprudence
1. Congé
a) Congé
délivré par erreur par un huissier à la
place d'une demande de renouvellement
Civ. 3e, 5
juin 2013, pourvoi n° 12-12065, Bull. civ.
III à paraî tre
La nullité des actes
d'huissier de justice est régie par les dispositions qui
gouvernent les actes de procédure. La mauvaise exécution
de son mandat par l'huissier qui délivre par erreur un
congé à la place d'une demande de renouvellement
du locataire ne constitue pas une irrégularité de
fond de l'article 117 du Code de procédure civile.
20. L'arrêt
du 5 juin 2013 rendu par la troisième Chambre civile de
la Cour de cassation met fin à un long contentieux
relatif à la délivrance par un huissier d'un congé
à la place d'une demande de renouvellement par le
locataire en rejetant le pourvoi formé contre la Cour
d'appel de Lyon, statuant sur renvoi après cassation.
Dans cette affaire, un huissier
avait délivré au bailleur, par erreur, le 3 juin
2003, le congé du locataire, la société Mac
Donald's, alors que celui-ci l'avait requis de notifier une
demande de renouvellement. S'apercevant de son erreur,
l'officier public délivre trois jours plus tard une
demande de renouvellement. Le bailleur prend acte, par lettre,
du congé et de la libération des lieux puis, fait
signifier au locataire son refus de renouvellement sans
indemnité d'éviction au vu du congé
délivré. La Cour d'appel accueille alors la
demande du locataire en décidant que le congé est
privé de tout effet car il ne s'agit que d'une erreur
grossière, rapidement dénoncée par
l'huissier requis. Cette décision est cassée le
30 septembre 2009 par la Cour de cassation au motif que
« quelle que soit la gravité des
irrégularités alléguées, seuls
affectent la validité des actes de procédure, soit
les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités
de fond limitativement énumérées à
l'article 117 NCPC ».
La Cour d'appel de renvoi
s'incline en rejetant les demandes de l'huissier et du
locataire, le premier formant alors un pourvoi principal et le
second un pourvoi provoqué reposant sur deux arguments
principaux : l'absence de pouvoir de l'huissier de justice
de délivrer congé alors qu'il était mandaté
par le locataire pour notifier une offre de renouvellement et la
signification du congé à une autre personne que le
bailleur ou son représentant. La Cour de cassation
rejette les deux pourvois en approuvant l'analyse de la Cour
d'appel.
21. Elle
relève d'abord que c'est à bon droit que la Cour
d'appel a retenu que « la nullité des actes
d'huissier de justice étaient régie par les
dispositions qui gouvernent les actes de procédure et que
la nullité d'un congé ne pouvait être
prononcée au motif que l'huissier aurait agi en dehors de
son mandat, ou que l'acte aurait été délivré
par erreur et en l'absence de consentement, la cour d'appel, qui
a relevé que l'huissier de justice avait mal exécuté
le mandat qui lui avait été donné, en a
exactement déduit que l'absence d'intention de la société
Mac Donald's ne constituait pas une irrégularité
de fond de l'article 117 du Code de procédure civile et
a, par ce seul motif, légalement justifié sa
décision de retenir que l'acte du 3 juin 2003 avait
produit ses effets ».
[p.
9] Aux termes de l'article 649 du Code de procédure
civile, la nullité des actes d'huissier de justice est
régie par les dispositions qui gouvernent la nullité
des actes de procédure. Or, en ce qui concerne les
irrégularités de fond, la Cour de cassation a posé
le principe que la liste de l'article 117 du Code de procédure
civile est limitative(20).
Dès lors, la seule irrégularité qui pouvait
être invoquée en l'espèce était le
défaut de pouvoir d'une personne assurant la
représentation d'une partie en justice. Or, l'huissier de
justice avait bien un pouvoir de représenter le
locataire, mais qu'il avait mal exécuté. Il
fallait s'interroger alors sur le point de savoir, comme
l'affirmait le pourvoi, si le défaut de pouvoir de
l'article 117 du Code de procédure civile recouvre
non seulement l'absence de mandat de l'huissier de justice mais
aussi le dépassement de pouvoirs de celui-ci. Sans
surprise, la Cour de cassation, retenant une interprétation
stricte du texte, considère que le dépassement de
pouvoir ne constitue pas une irrégularité de fond.
22. La
Cour de cassation considère ensuite que c'est à
bon droit que la Cour d'appel a déduit, de la délivrance
du congé à la société Monoprix
représentant la société grand bazar de Lyon
SA (le bailleur), que le congé avait été
délivré à la personne du bailleur, au lieu
de son siège social indiqué dans le bail. En
réalité, il s'agissait du lieu de son ancien siège
social. Or, le locataire, relevait dans son pourvoi qu'il
n'était pas établi que la société
Monoprix ait été le mandataire du bailleur et
contestait donc qu'il ait été délivré
à son véritable destinataire, même si la
société monoprix avait accepté l'acte. Le
pourvoi cependant ne se fonde pas sur l'irrégularité
de forme de l'acte qui en principe n'aurait pu être
invoqué que par l'adversaire de celui à la requête
duquel il a été fait (ici le bailleur), à
condition que l'irrégularité lui cause un grief,
pour que soit prononcé la nullité du congé.
Il relève qu' « un congé étant
un acte réceptice, il n'acquiert sa perfection que par la
notification qui en est faite à son destinataire ;
qu'en conséquence la signification par le preneur d'un
congé à une personne autre que le bailleur
équivaut à un défaut de congé dont
peuvent se prévaloir tant le bailleur que le preneur ».
La Cour de cassation ne répond
pas à cette argumentation dès lors qu'elle
considère que le congé a bien été
délivré au bailleur, par l'intermédiaire de
la société monoprix. On peut cependant se
demander, si dans le cas contraire, le moyen développé
par le locataire aurait pu prospérer, en déplaçant
le débat de l'irrégularité de forme de
l'acte de procédure à son existence même.
Il est indéniable que le
congé en matière de bail est qualifié
d'acte réceptice. Il n'a donc d'existence juridique que
sous la condition d'être porté, par une
notification, à la connaissance de la personne envers
laquelle il est appelé à produire effet(21).
On peut aussi, sans doute, admettre son efficacité
lorsque son destinataire l'accepte bien qu'il ait été
délivré irrégulièrement. En
l'espèce, le congé a été signifié
le 3 juin 2003 à un autre que le bailleur et il a
été suivi, le 6 juin, de la signification,
par un second acte de l'huissier de justice fautif, d'une
demande de renouvellement qui, selon ses termes mêmes,
annulait le congé. Or, le bailleur n'a accepté ce
dernier que par une lettre du même jour. Etait-il encore
temps de sauver l'acte réceptice de congé de
l'inexistence ? Certainement pas si la lettre du bailleur a
été expédiée en réponse au
second acte d'huissier de justice ; sans doute, s'il était
prouvé que la lettre a été envoyée
(voir écrite) avant la signification de l'acte. D'où
des problèmes de preuve difficilement surmontables.
23. La
morale de cette longue procédure, c'est que même en
cas d'erreur grossière de l'huissier de justice, le
congé, qui constitue un acte unilatéral réceptice,
produit tous ses effets dès qu'il est régulièrement
délivré. Le seul moyen de le neutraliser est
d'obtenir du bailleur qu'il y renonce. À défaut,
le locataire pourra obtenir réparation de son entier
préjudice en engageant la responsabilité de
l'officier public. Cela explique que la Cour d'appel de renvoi
ait fait droit à la demande d'expertise afin d'évaluer
le préjudice résultant de la perte du droit au
bail, préjudice équivalent à une indemnité
d'éviction.
2. Application
immédiate aux baux en cours de l'article L. 149-9,
C. com. modifié par la LME du 4 août 2008
Civ. 3e,
3 juillet 2013, pourvoi n° 12-21.541, Bull.
civ. III, à paraî tre
Les effets légaux d'un
contrat étant régis par la loi en vigueur à
la date où ils se produisent, l'article L. 145-9 du
Code de commerce modifié par la loi du 4 août
2008, imposant de délivrer congé pour le dernier
jour du trimestre civil et au moins six mois à l'avance
était applicable au contrat en cours.
24. Un
bail commercial avait été conclu le 7 mars
2000. Le bailleur donne congé au locataire avec refus de
renouvellement, le 30 mars 2009, dans la période de
tacite-reconduction (désormais tacite-prolongation), pour
le 30 septembre 2009. Le locataire invoque alors, pour
contester la validité du congé, le non-respect de
l'article L. 145-9 du Code de commerce dans sa version
antérieure à la loi du 4 août 2008.
Celui-ci prévoyait, en effet, que le congé devait
être donné « suivant les usages
locaux et au moins six mois à l'avance »,
alors que dans sa version en vigueur lors de la délivrance
du congé, le texte disposait que le congé devait
être donné 6 mois à l'avance pour « le
dernier jour du trimestre civil ». L'huissier de
justice, appliquant la loi nouvelle, délivre donc le
congé du bailleur pour le 30 septembre, 6 mois
à l'avance, pour le dernier jour du trimestre civil, le
respect du délai de préavis coïncidant, en
l'espèce, avec le dernier jour du trimestre civil.
25. La
Cour d'appel rejette la demande en nullité du congé
au motif que la loi nouvelle est d'application immédiate,
y compris au contrat en cours, dès lors qu'elle modifie
des dispositions statutaires d'ordre public. Le pourvoi conteste
ce motif en relevant qu'une loi nouvelle même d'ordre
public ne peut, en l'absence de dispositions spéciales,
régir les effets à venir des contrats conclus
antérieurement. Pour le rejeter, la Cour de cassation
rappelle un principe aujourd'hui classique selon lequel les
effets légaux d'un contrat sont régis par la loi
en vigueur à la date où ils se produisent.
Si le principe de la survie de
la loi ancienne demeure, il fait désormais l'objet de
deux exceptions jurisprudentielles : la prise en compte de
considérations d'ordre public particulièrement
impératives d'une part, la réglementation par la
loi nouvelle des effets légaux du contrat, d'autre part.
Selon le principe de la survie de la loi ancienne, les
dispositions légales nouvelles ne sont pas applicables
aux effets d'un contrat, même survenus postérieurement
à [p. 10]
l'entrée en vigueur de la loi nouvelle dès lors
que le contrat a été conclu antérieurement
à celle-ci. Cependant, la loi nouvelle peut s'appliquer
immédiatement à ces effets, si le législateur
le prescrit ou si d'impératives considérations
d'ordre public le justifient. C'est sur le non-respect des
conditions de mise en œuvre de cette première
exception que repose le pourvoi lorsqu'il relève que la
nature d'ordre public de la LME ne pouvait à elle seule
justifier son application immédiate et que les juges du
fond auraient dû préciser les impératives
considérations d'ordre public qui motivaient celle-ci. La
Cour de cassation ne suit pas le raisonnement du locataire car
pour elle c'est la seconde exception à la survie de la
loi ancienne qui fonde l'application immédiate du texte.
Pour la cour de cassation l'article L. 145-9 du Code
de commerce précise des effets légaux du bail
soumis au statut des baux commerciaux. C'est alors suffisant
pour que cette disposition s'applique immédiatement car
de contractuelle, la situation est devenue légale(22) ;
il n'y a pas à rechercher si d'impératives
considérations d'ordre public le justifient. En matière
de bail commercial, la Cour de cassation a déjà
qualifié d'effets légaux du contrat pour appliquer
immédiatement la loi nouvelle, la réglementation
du droit de renouvellement(23),
le plafonnement légal du loyer renouvelé(24)
ou la révision des loyers(25).
26. Les
prescriptions de l'article L. 145-9 du Code de commerce
s'ajoute à la liste déjà longue des effets
légaux du bail soumis au statut des baux commerciaux.
Cette solution est précieuse car la rédaction de
l'article L. 145-9 a été à nouveau
reprise par la loi du 22 mars 2012 pour mettre fin aux
difficultés d'application suscité par la
formulation retenue par la loi du 4 août 2008(26).
Désormais, lors de la délivrance d'un congé,
l'huissier de justice pourra, sans hésitation, appliquer
le texte dans sa dernière version, même si le bail
a été conclu avant l'entrée en vigueur de
la dernière loi. Il devra alors distinguer deux cas. Le
congé prend effet à l'arrivée du terme du
bail lorsqu'il est donné au moins six mois avant ce
terme. Le congé donné au cours de la tacite
prorogation (en tout ou en partie) ne prend effet que le premier
jour du trimestre suivant l'écoulement du préavis
de six mois. Il pourra aussi appliquer l'article L. 145-9
dans sa version en cours lorsque c'est le locataire qui donnera
un congé triennal, l'article L. 145-4 renvoyant pour
ses formes et délais à l'article L. 145-9 du
Code de commerce(27).
B. Quelques
précisions relatives à la procédure sur
mémoire en matière de fixation du prix du bail
1. Domaine
de la procédure sur mémoire
Civ. 3e,
23 mai 2013, pourvoi n° 12-14.009, Bull.
civ. III, à paraî tre.
La procédure
applicable devant le tribunal de grande instance saisi à
titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail
renouvelé est la procédure en matière
contentieuse applicable devant cette juridiction et non la
procédure spéciale sur mémoire en vigueur
devant le seul juge des loyers commerciaux.
27. Un
bailleur avait délivré un congé avec offre
de renouvellement et fixation du nouveau loyer. Il saisit
ensuite le juge des loyers qui se déclare incompétent
au profit du tribunal de grande instance au motif qu'il existait
également une contestation sur la date de renouvellement
du bail. Le tribunal de grande instance est saisi accessoirement
de la fixation du loyer du bail renouvelé et se prononce
sans que soit respectée la procédure sur mémoire.
Le locataire invoque alors une exception d'irrecevabilité
de la demande en fixation du loyer. Celle-ci est écartée
par les juges du fond. La Cour de cassation rejette le pourvoi
en affirmant que « La procédure applicable
devant le tribunal de grande instance saisi à titre
accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé
étant la procédure en matière contentieuse
applicable devant cette juridiction et non la procédure
spéciale sur mémoire en vigueur devant le seul
juge des loyers commerciaux, la Cour d'appel a retenu à
bon droit qu'il ne pouvait être fait grief à la
bailleresse de ne pas avoir déposé de mémoire
après expertise et constatant que les parties avaient
conclu après le rapport de l'expert judiciaire, en a
justement déduit que la procédure était
régulière ».
Ce principe n'est que la reprise
de celui déjà posé par la Cour de
cassation, par un arrêt rendu le 27 novembre 2002 en
matière de fixation du loyer révisé(28).
L'arrêt critiqué par le pourvoi avait été
cassé au motif que « que lorsque la demande
en révision du loyer est formée accessoirement
devant le tribunal de grande instance saisi à titre
principal d'une question relevant de sa compétence, cette
demande est instruite suivant les règles applicables
devant cette juridiction et non pas suivant la procédure
en vigueur devant le juge des loyers commerciaux ».
La procédure à
suivre n'est donc pas une procédure sur mémoire
mais est celle propre au tribunal de grande instance :
postulation obligatoire et échange de conclusions.
2. Obligation
de notifier le mémoire aux deux époux cobailleurs
de l'immeuble
Civ. 3e,
3 juillet 2013, pourvoi n° 12-13.780, Bull.
civ. III, à paraî tre
Le défaut de
notification du mémoire à chacun des bailleurs
entraî ne l'irrecevabilité de l'action.
28. En
l'espèce, un locataire avait délivré son
mémoire dans une procédure de fixation du prix du
bail par une lettre recommandée avec accusé de
réception unique adressée aux deux époux
[p. 11]
cobailleurs. Ceux-ci avaient soulevé l'exception
d'irrecevabilité de l'action formée devant le juge
des loyers qui est rejetée par les juges du fond au motif
qu'une lettre du conseil des bailleurs datée du 26 mai
2009, soit plus d'un mois avant leur assignation devant le juge
des loyers, prouve que les deux cobailleurs avaient connaissance
du mémoire notifié par le locataire et que cela
valait preuve de sa réception antérieure de plus
d'un mois à la date d'assignation.
Au visa des articles R. 145-26
et R. 145-27 du Code de commerce, la Cour de cassation
censure la décision de la cour d'appel, au motif que « le
défaut de notification du mémoire à chacun
des bailleurs entraî ne l'irrecevabilité de
l'action ». L'article R. 145-26 prévoit,
en effet, que « les mémoires sont notifiés
par chacune des parties à l'autre ». Dès
lors qu'il y a plusieurs bailleurs ou plusieurs locataires, la
Cour de cassation en déduit que l'auteur du mémoire
- en l'espèce le locataire - doit notifier celui-ci par
autant de lettres recommandées qu'il y a de bailleur(29).
La connaissance effective par ceux-ci des mémoires n'est
donc pas suffisante pour rejeter l'exception d'inexécution
lorsqu'une seule lettre a été envoyée aux
deux époux cobailleurs.
3.
Date à
laquelle la formalité de la notification du mémoire
est remplie
Civ. 3e,
16 octobre 2013, pourvoi n° 12-20.103,
Bull. civ. III, à paraî
tre
La formalité de
notification du mémoire en fixation du prix est remplie
lorsque son destinataire est à même de retirer la
lettre recommandée présentée à son
domicile.
29. Dans
la procédure de fixation du prix, aux termes de l'article
R. 145-27 du Code de commerce, « le juge des
loyers ne peut, à peine d'irrecevabilité, être
saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la
réception par son destinataire du premier mémoire
établi ». C'est sans doute en se fondant
sur la lettre du texte exigeant la réception du premier
mémoire qu'une Cour d'appel a déclaré le
juge des loyers non valablement saisi dès lors que les
deux lettres recommandées contenant les mémoires
avant (lettre du 25 juin 2008) et après expertise
(lettre du 11 mars 2010), adressées par un bailleur
à son locataire, avaient été retournées
au premier avec la mention « non réclamé ».
En l'espèce, le bailleur, qui avait fait délivré
le congé avec offre de renouvellement le 31 décembre
2006 avait néanmoins continué la procédure
en saisissant le juge des loyers par assignation du 21 octobre
2008. La décision de la Cour d'appel était donc
lourde de conséquence pour le bailleur puisque l'action
en fixation du loyer étant désormais prescrite, le
bail renouvelé l'était aux conditions financières
du bail précédent.
30. La
Cour de cassation censure cette décision au motif que
« La formalité de notification du mémoire
en fixation du prix est remplie lorsque son destinataire est à
même de retirer la lettre recommandée présentée
à son domicile ».
On remarquera, cependant, que la
Cour de cassation ne s'appuie pas sur les dispositions du code
de procédure civile précisant la date des
notifications ordinaire. L'article 668 du Code de procédure
civile prévoit, en effet, que « la date de
notification par voie postale est, à l'égard de
celui qui y procède celle de l'expédition et, à
l'égard de celui à qui elle a été
faite, la date de la réception de la lettre »
et, l'article 669 al. 3 du Code de procédure civile
ajoute que lorsque la lettre est recommandée, la date de
réception est celle de la remise effective de la lettre à
son destinataire par l'administration des postes. L'application
de ces textes conduirait à considérer que c'est à
partir de sa remise effective à l'autre partie que
commence à courir le délai d'un mois qui doit
s'écouler avant la saisine du juge des loyers.
La Cour ne dit pas non plus, ce
qui serait totalement contraire à l'article L. 145-27,
que le délai d'un mois cours à compter de
l'expédition de la lettre recommandée avec accusé
de réception.
Elle donne, en revanche, un sens
spécifique aux termes de « réception
par son destinataire » en considérant
qu'il suffit que « son destinataire soit à
même de retirer la lettre recommandée présentée
à son domicile ». Ce qui est certain c'est
que le destinataire (parfois de mauvaise foi) ne pourra plus se
contenter de relever son absence de réception effective
de la lettre pour soulever une exception d'irrecevabilité.
Mais cela ne signifie pas forcément que la réception
au sens de l'article R. 145-27 sera toujours constatée
dès le jour de la première présentation de
la lettre au domicile ou au siège social du destinataire,
sauf à admettre, que pour la Cour de cassation, la
formule retenue est synonyme de première présentation
de la lettre recommandée au destinataire.
L'assouplissement apporté
par l'arrêt commenté, en luttant contre la tactique
condamnable consistant à ne pas aller retirer la lettre
recommandée, est opportun. La solution crée
cependant une nouvelle incertitude quant au point de départ
du délai d'un mois qui doit s'écouler avant la
saisine du juge des loyers.
4.
Faculté
de notifier le mémoire par huissier de justice
Civ. 3e,
16 octobre 2013, pourvoi n° 12-19352, Bull.
civ. III, à paraî tre
Aucun texte n'écartant
l'application de l'article 651 al. 3 CPC, la notification du
mémoire peut être signifiée par huissier de
justice.
La validité d'un
mémoire n'est pas subordonnée à l'emploi
exprès du terme « mémoire ».
31. C'est
semble-t-il la première fois que la Cour de cassation est
amené à se prononcer sur l'application de
l'article 651 alinéa 3 du Code de procédure
civile en ce qui concerne la notification du mémoire dans
la procédure de fixation du loyer commercial. Ce texte
prévoit en effet que « la notification
peut toujours être faite par voie de signification alors
même que la loi l'aurait prévue sous une autre
forme ». Sans surprise, elle considère
donc que si l'article R. 145-26 du Code de commerce prévoit
une autre forme pour la notification du mémoire, en
l'occurrence la lettre recommandée avec accusé de
réception, la signification par voie d'huissier de
justice du mémoire demeure néanmoins ouverte dès
lors qu'aucun texte ne l'interdit. La Cour de cassation avait
déjà retenu la même solution en matière
de notification du droit de préemption à
l'occupant lors de cession du logement après première
division de l'immeuble pour laquelle l'article 10 de la loi du
31 décembre 1975 impose le recours à la
lettre recommandée avec accusé de réception(30).
[p.
12] 32. Elle ajoute que la
notification ne doit pas forcément contenir le terme
« mémoire » dès lors
qu'aucun texte ne l'impose à peine de nullité. La
notification est donc régulière, bien que l'acte
d'huissier est retenu les termes de « conclusions
récapitulatives après dépôt de
rapport d'expert » dès lors qu'elle a bien
été faite directement à l'autre partie et
non pas communiquée selon les règles des
notifications entre avocats.
R-N. S.
IV.
Baux ruraux
A.
Projet de
loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
Projet de loi d'avenir pour
l'agriculture, l'alimentation et la forêt ; Document
de travail du Ministère de l'agriculture, de
l'agroalimentaire et de la forêt, en date du 12 septembre
2013.
33. « L'agriculture
française, les filières agroalimentaires et
forestières sont des leviers essentiels pour relever le
défi de la compétitivité économique,
sociale et environnementale de notre pays et contribuer ainsi au
développement productif de la France et de l'ensemble des
territoires ». Ainsi s'est exprimé le
Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt,
Stéphane Le Foll lorsqu'il a, mi-septembre, annoncé
officiellement le projet de loi pour l'agriculture,
l'alimentation et la forêt. Document qui doit être
présenté en Conseil des ministres le 30 octobre
2013 pour un début d'examen du texte en séance
publique à l'Assemblée nationale prévu le
7 janvier 2014. Il s'agit, toujours selon ses dires, de
donner un nouvel élan pour l'agriculture, avec comme mot
d'ordre la « double performance : économique
et environnementale ».
34. Le
résultat est un projet de loi comportant 40 articles,
répartis dans 7 titres différents.
À noter que l'article 1er
du projet propose d'insérer, avant le livre I du Code
rural et de la pêche maritime, un livre préliminaire
consacré aux « principes généraux »,
avec notamment un futur article L. 1 qui fixera les grandes
orientations de la politique agricole et alimentaire (accès
de tous à une alimentation sûre, diversifiée,
en quantités suffisantes, de bonnes qualité
gustative et nutritionnelle, produite dans le respect de
l'environnement ..), et affirmera les objectifs de développement
des filières de production et de transformation. Les
futurs articles L. 2 et L. 3 de ce livre préliminaire
prévoient les mêmes finalités s'agissant de
la politique à conduire en matière forestière
et pour les pêches maritimes, l'aquaculture et les
activités halio-alimentaires.
35. Le
titre premier du projet de loi est consacré à la
« performance économique et
environnementale des filières agricoles et
agroalimentaires ». Cela se traduirait notamment
par un renforcement des rôles du Conseil supérieur
d'orientation et de coordination de l'économie agricole
et alimentaire, et de France-Agrimer.
Le Code rural et de la pêche
maritime s'enrichirait aussi d'une nouvelle dénomination,
véritable nouveauté du projet de loi : le
groupement d'intérêt économique et
environnemental (GIEE). Dénomination que pourra
revendiquer tout groupement, qu'il soit ou non doté de la
personnalité morale, comprenant plusieurs exploitants
agricoles et, le cas échéant, d'autres personnes
intéressées, et dont les membres s'engageront
collectivement à mettre en œuvre un projet
pluriannuel de modification durable des pratiques employées
pour la gestion de leurs systèmes de production, en
visant toujours la double performance économique et
environnementale. Les GIEE ainsi constitués pourraient
alors bénéficier de « priorités
et majorations dans l'attribution des aides publiques dont les
objectifs correspondent aux finalités de leur projet
pluriannuel ».
Pour favoriser le développement
d'une agriculture respectueuse de l'environnement, l'autorité
administrative pourrait rendre obligatoire pour ceux qui vendent
des matières fertilisantes azotées en vue d'un
usage agricole une « déclaration annuelle
relative à leur activité ».
De plus, le bail rural avec
clauses environnementales, instauré par la loi
d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et introduit à
l'article L. 411-27 du Code rural et de la pêche
maritime, verrait son application étendue puisque tout
bailleur, sans distinction de nature publique ou privée,
pourrait l'envisager en quel que lieu que soit situé le
bien objet de la location (pour l'heure, les bailleurs privés
ne peuvent proposer un tel contrat à un candidat à
l'exploitation que si leurs terrains sont situés dans des
périmètres protégés au sens du Code
de l'environnement).
Une nouvelle définition
du GAEC total et du GAEC partiel est proposée ; et il est
envisagé qu'un GAEC total puisse, sans perdre sa qualité,
participer en tant que personne morale associée d'une
autre société, à la production et, le cas
échéant, à la commercialisation de produits
de la méthanisation.
Le projet de loi propose aussi
une gouvernance « rénovée »
du modèle coopératif, pour plus de transparence
dans les relations entre les sociétés coopératives
et leurs associés.
La performance économique
et environnementale passerait également par une meilleure
organisation des filières, au sein notamment
d'interprofessions reconnues et légitimes, et associant
plus largement les organisations syndicales d'exploitants
agricoles représentatives.
Enfin, un effort supplémentaire
serait fait en faveur de « la contractualisation »
en agriculture. L'objectif confirmé est d'en faire un
outil de régulation des filières, ce qui doit
passer par un aménagement de la législation
existante pour favoriser l'équilibre de la relation
commerciale, par une adaptation de la contractualisation avec
les jeunes agriculteurs et enfin par un rôle renforcé
du médiateur des contrats agricoles.
36. Le
Titre II du projet de la loi d'avenir est consacré à
la « protection des terres agricoles et au
renouvellement des générations »,
indispensable pour conserver une agriculture performante et
diversifiée et avoir une politique dynamique
d'installation.
À cette fin, les
compétences de la Commission départementale de
consommation de l'espace agricole (CDCEA) et de l'Observatoire
national de la consommation des espaces agricoles (ONCEA), créés
par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche
du 27 juillet 2010, vont être élargies aux
espaces naturels et forestiers. De plus, l'avis des CDCEA ne
sera rendu qu'après que les documents du projet impactant
les espaces aient été soumis à enquête
publique.
Le projet de loi indique que les
SAFER vont « œuvrer prioritairement à la
protection des espaces agricoles et naturels ». Au-delà,
le rôle des SAFER est renforcé puisqu'elles
devraient être informées de toute opération
conclue à titre onéreux portant sur des biens
mobiliers ou immobiliers ruraux, des terres, des [p.
13] exploitations agricoles ou forestières,
avec élargissement de leur droit de préemption à
l'ensemble des biens à vocation agricole (dont les
friches hors bâtis) et une capacité accrue
d'acquisition à l'amiable de parts sociales ou actions
des exploitations sous forme sociétaire. Selon le nouvel
article L. 141-1-1, les SAFER sont préalablement
informées par le notaire et, c'est nouveau, par le
vendeur en cas de vente de part sociale, dans des conditions
fixées par décret en Conseil d'État, de
toute cession conclue à titre onéreux portant sur
des biens mobiliers ou droits mobiliers ou immobiliers situés
dans leur ressort. De plus, le régime des sanctions en
cas de violation de l'obligation d'information de la SAFER
évolue sensiblement mais moins que les SAFER ne l'avaient
un temps imaginé (en projet une amende administrative
pouvant aller jusqu'à 5% du montant de la transaction).
Si un immeuble sur lequel une SAFER était autorisée
à préempter a été aliéné
au profit d'un tiers en violation de l'obligation d'information,
la SAFER peut, dans un délai de 6 mois à compter
de la publication de l'acte de vente, demander au tribunal de
grande instance soit d'annuler la vente, soit de la déclarer
acquéreur aux lieu et place du tiers. Enfin, le mode de
gouvernance des SAFER doit évoluer, et leur
régionalisation se poursuivre.
La politique de l'installation
en agriculture est revisitée afin de la rendre accessible
à tous dans le respect de la diversité des
projets, en essayant de favoriser l'installation progressive et
l'accès au parcours professionnel personnalisé par
une meilleure couverture sociale des stagiaires. Enfin, la taxe
obligatoire sur les cessions de terres devenues constructibles,
instaurée par la loi de modernisation de l'agriculture et
de la pêche du 27 juillet 2010, évolue à
travers une refonte de ses objectifs et de ses conditions
d'utilisation.
Comme à chaque loi
agricole, qu'elle soit d'orientation, d'amélioration,
d'adaptation, de modernisation..., le contrôle des
structures est promis à évoluer. L'objectif
annoncé est d'inscrire dorénavant ses priorités
à l'échelon régional (le schéma
directeur départemental des structures (SDDS) laissera la
place à un schéma directeur régional des
exploitations agricoles) et surtout de les actualiser en faveur
de l'installation et de la consolidation d'exploitations
pérennes, tout en limitant les agrandissements excessifs.
Pour cela, la réglementation relative au contrôle
des structures est adaptée afin de rendre plus
transparentes les opérations de déclaration et
d'autorisation. Le régime de la déclaration
préalable pour la reprise de biens familiaux devrait être
réservé aux seules opérations
d'installation. Enfin, est projeté un meilleur
encadrement des mouvements sociétaires, notamment
lorsqu'ils se traduisent par des agrandissements « excessifs
ou une concentration d'exploitations ». De même
que la réduction du nombre d'actifs agricoles pourrait
être une cause de refus de délivrance de
l'autorisation d'exploiter à une structure sociétaire.
Pour mieux prendre en compte la
diversité des productions et des modèles
d'exploitation, le projet redéfinit la surface minimale
d'assujettissement au regard du droit social agricole, en y
incorporant une notion d'activité.
37. Le
titre III ambitionne de faire de l'alimentation et de la
performance sanitaire, une politique publique que s'approprient
les citoyens. Cela devrait se traduire notamment par une
simplification de contenu et davantage de place faite aux
acteurs territoriaux pour valoriser les initiatives locales. Les
salariés des filières et entreprises agricoles et
agroalimentaires sont intégrés dans le dispositif
de protection des lanceurs d'alerte, pour participer à la
prévention et à la détection des fraudes
alimentaires dont ils pourraient avoir connaissance dans
l'exercice de leurs activités. Pour optimiser le
dispositif sanitaire, les modalités de recours aux
laboratoires dans le cadre d'analyses officielles devraient être
simplifiées, et ce tant en matière de santé
végétale qu'animale, étendue à la
faune sauvage. Pour renforcer l'information du public et la
transparence, le Ministère publiera de manière
systématique les résultats des contrôles
sanitaires effectués dans les établissements
(abattoirs, restaurants, métiers de bouche…). Les
pratiques commerciales s'agissant de médicaments
vétérinaires devraient être mieux encadrées,
en veillant à ce que cela ne porte pas atteinte à
la performance sanitaire des élevages. En cas de
manquement aux règles ou de non-respect des procédures,
le régime de sanctions administratives et pénales
s'alignera sur celui existant en matière de médicaments
destinés à l'humain. Les pouvoirs des préfets
devraient être accrus pour permettre davantage de
réactivité en cas d'émergence de maladies
végétales locales.
Les utilisateurs « amateurs »
de produits phytosanitaires ne sont pas oubliés puisque
le projet de loi d'avenir envisage d'interdire toute publicité
pour de tels produits, hors cadre professionnel. Un suivi
post-autorisation de mise sur le marché est prévu
pour mieux mesurer et maî triser les effets des produits
phytosanitaires, et cela à la charge des firmes qui
commercialisent ces produits. Pour lutter contre la circulation
de produits frauduleux, notamment d'importation, les pouvoirs de
contrôle des douanes seront renforcés. Enfin, les
vendeurs de ces produits seront soumis à une obligation
de conseils d'utilisation dès lors qu'ils vendent ou
délivrent à titre gratuit des produits
phytosanitaires à des professionnels ou à des
amateurs.
38. Le
titre IV est relatif à l'enseignement agricole afin
d'adapter ses missions et apprentissages aux nouveaux défis
de l'agriculture, en particulier l'ouverture à
l'international, en conservant toujours le mot d'ordre « double
performance économique/environnementale ».
À ce titre, les exploitations des établissements
agricoles doivent être un lieu d'expérimentations
de nouvelles pratiques agronomiques et agro-écologiques
innovantes. Le parcours des élèves doit être
mieux sécurisé et les passerelles entre
l'enseignement technique agricole et supérieur
facilitées. Est également envisagée la
création de l'Institut vétérinaire de
France, regroupant les 4 écoles actuelles, afin
d'enrichir et adapter l'offre et les modalités de
formation.
39. Le
titre V est dédié à la forêt, avec
pas moins de 7 articles. Pour une meilleure concertation entre
les acteurs de la filière doit être établi
un « programme national de la forêt et du
bois », fixant les grandes orientations et
actions permettant de relever les défis en la matière
que sont l'adaptation au changement climatique, la mobilisation
de la ressource bois, la dynamisation de la filière…
Orientations nationales promises ensuite à déclinaison
à l'échelon local, après concertation entre
l'État et les régions. À noter que sont
reconnues d'intérêt général :
« 1° la protection et la mise en valeur des
bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre
d'une gestion durable ; 2° la conservation des
ressources génétiques forestières ; 3°
la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts
et le stockage de carbone dans les bois et forêts, dans le
bois et les produits fabriqués à partir de bois ».
Le dernier objectif devrait, par exemple, se traduire par
l'imposition d'une quantité minimale de bois dans les
constructions neuves.
[p.
14] La politique forestière doit privilégier
les mesures incitatives et contractuelles, notamment à
l'égard des propriétaires organisés en
groupements, et par la recherche de contreparties aux services
rendus par la forêt dans son rôle environnemental et
social. Est ainsi envisagée la création de GIEE
« F » pour : Groupements d'Intérêts
Economiques et Environnementaux Forestiers, afin de dynamiser la
gestion durable et multifonctionnelle des forêts privées
et en incitant au regroupement collectif. Dans le prolongement
est prévue la création du « compte
d'investissement forestier et d'assurance » pour
favoriser le développement de l'assurance des propriétés
forestières privées, dont l'exploitation devrait
être dynamisée. Par ailleurs, un « fonds
stratégique de la forêt et du bois »
est créé afin que l'Etat concourt au financement
de projets d'investissements et d'actions de recherche, de
développement et d'innovation s'inscrivant dans le cadre
des orientations stratégiques. Les modalités
d'ouverture et de fonctionnement du « compte
d'investissement forestier et d'assurance » sont
revisitées.
Le droit de préférence
des propriétaires voisins en cas de vente d'une propriété
boisée de moins de 4 hectares, qui suscite tant de
difficultés en pratique, est abordé juste pour
indiquer qu'il s'exerce sous réserve du droit de
préemption prévu au bénéfice de
« personnes morales chargées d'une mission
de service public par le Code rural et de la pêche
maritime ou par le Code de l'urbanisme », visant
ici d'une part la SAFER déjà évoquée
dans le texte initial mais d'autre part, les collectivités
locales (commune, département …).
40. Le
titre VI rassemble les dispositions relatives à
l'Outre-mer, avec notamment l'annonce d'un « comité
régional d'orientations stratégiques et de
développement » (CROSD), chargé de
définir une vision stratégique et partagée
pour le développement de l'agriculture, de
l'agroalimentaire et de la forêt. Ici, la double
performance économique et environnementale doit se
traduire tout particulièrement par la préservation
du foncier agricole, une politique en faveur de l'installation,
un appui aux démarches de qualité et
d'approvisionnement du marché local par la production
locale et enfin, la préservation d'une petite agriculture
familiale.
41. Pour
terminer, le titre VII est comme de coutume consacré aux
« dispositions transitoires et diverses »,
visant notamment à « simplifier et
clarifier le droit » !
42. Au
final, le résultat selon nous ressemble davantage à
une compilation de retouches de la réglementation
existante, avec ici ou là quelques véritables
nouveautés telles que le GIEE, qu'à une véritable
« loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation
et la forêt » ! Espérons que le
travail parlementaire améliorera la copie pour tenter de
donner un véritable cap pour notre agriculture.
B.
Congé
après division du bien loué en cours de bail
Civ. 3e,10 avril
2013, pourvoi n° 12.14.837.
Bail rural - Division
- Congé pour reprise - Auteur - CRPM,
art. L. 411-58 et L. 411-62.
43. Devenu
par succession propriétaire d'une partie des biens loués
par bail rural, un descendant peut-il, pour le terme du bail,
délivrer un congé pour reprise en vue d'une
exploitation personnelle de la partie dont il a hérité ?
C'est la question que vient de trancher la Cour de cassation,
confirmant une position adoptée à maintes
reprises.
44. En
l'occurrence, il s'agissait d'un bail à long terme
consenti le 29 septembre 1993. Devenu propriétaire
en 2009 d'une partie des biens loués, le descendant
décide de délivrer le 8 mars 2010 aux époux
co-preneurs un congé portant sur les 16 ha. dont il
venait de recevoir la propriété afin que ceux-ci
libèrent les lieux au terme du bail, soit le 28 septembre
2011. Les preneurs ont alors agi en nullité du congé,
au motif que c'est à la date d'effet du congé
qu'il faut se placer pour apprécier sa régularité.
Or le bail ne s'étant pas renouvelé dans la mesure
où le congé était donné précisément
pour cette échéance, il fallait selon les preneurs
considérer qu'il restait un tout indivisible et que par
conséquent, la reprise pour laquelle le congé
avait été délivré devait s'analyser
en une reprise partielle du bien loué. Argument qui leur
permettaient alors de revendiquer le bénéfice de
l'article L. 411-62 du Code rural et de la pêche
maritime qui dispose que le bailleur ne peut reprendre une
partie des biens loués si cette reprise est de nature à
porter gravement atteinte à l'équilibre économique
de l'ensemble de l'exploitation assurée par le preneur.
En l'espèce, les preneurs faisaient valoir que
l'équilibre économique de l'exploitation à
laquelle ils participent au sein d'un GAEC serait gravement
compromis puisque la perte des 16 hectares, objet du congé
reprise, allait impacter la quantité de référence
laitière dont est titulaire la société, le
nombre de ses droits à paiement unique ainsi que son plan
d'épandage ; conséquences de la reprise
« partielle » estimée par le
comptable de l'exploitant à près de 30 % du
résultat de l'exploitation !
Si l'argumentation n'a pas
séduit les juges de première instance, elle a été
accueillie favorablement par la cour d'appel qui décida
d'annuler le congé pour reprise. Décision censurée
par la Cour de cassation, qui n'admet pas la contestation du
congé sur le fondement du régime dérogatoire
de la reprise partielle tel que prévu par l'article
L. 411-62 du Code rural et de la pêche maritime. Si
les conséquences de la reprise partielle s'apprécient
effectivement eu égard à la situation du preneur,
cela suppose avant de vérifier qu'il s'agit bien, côté
bailleur, d'une reprise partielle des biens loués. Or la
règle est bien établie ! Le congé
délivré s'apprécie non pas à sa date
de délivrance mais à sa date d'effet ;
c'est-à-dire au terme du bail, moment où il
s'achève et avec lui le principe de l'invisibilité
du bail. À la date d'effet du congé, ici le
28 septembre 2011, l'indivisibilité du bail disparaî
t ; aussi, la reprise devait-elle être considérée
comme menée pour « la totalité des
terres dont son auteur était devenu propriétaire ».
45. La
même solution avait été retenue quelques
mois auparavant dans une affaire de contestation de congé
délivré après donation-partage en cours de
bail. Après avoir consenti un bail de 18 ans sur un
ensemble de parcelles, le couple bailleur décida
d'effectuer une donation-partage entre ses descendants, en vertu
de laquelle leur fils se voit attribuer une partie des biens
affermés. Dans la foulée, il décide de
délivrer congé sur les parcelles lui ayant été
attribuées en pleine propriété. Comme dans
la présente espèce, le locataire décide de
contester le congé au motif que « l'indivisibilité
du bail persistant jusqu'à son expiration nonobstant la
division entre plusieurs propriétaires des biens en
faisant l'objet », le bail demeurait soumis au
statut du fermage jusqu'à son expiration, de sorte que le
congé aurait dû être délivré
par l'ensemble des indivisaires. À quoi la Cour de
cassation a répondu que dans [p.
15] la mesure où effectivement
l'indivisibilité du bail rural cesse à son
expiration et que les conditions d'une reprise doivent être
appréciées à la date d'effet du congé
délivré à cette fin, les juges du fond ont
eu raison d'en déduire qu'à cette date, la
donation-partage ayant produit ses effets, le fils était
devenu l'unique propriétaire des parcelles considérées
et avait donc qualité pour délivrer seul le congé
pour reprise(31).
Mais si l'indivisibilité
du bail cesse à son expiration, il est pourtant un cas
dans lequel le législateur a décidé, pour
lutter contre certains abus, de retarder les effets de celle-ci.
Il en va ainsi en matière de « petites
parcelles », qui bénéficient d'un
régime dérogatoire en matière de statut du
fermage (CRPM., art. L. 411-3). Pour être considéré
« petites parcelles », il faut,
d'une part, que le bien loué soit d'une superficie
inférieure à la limite fixée par arrêté
préfectoral (variable suivant les départements et
les modes de culture). D'autre part, les petites parcelles ne
peuvent être louées par bail dérogeant au
statut que si elles ne constituent « pas un corps de
ferme ou des parties essentielles de l'exploitation ».
Dans ces conditions, la tentation est grande pour le bailleur
ayant consenti un bail pleinement soumis au statut du fermage,
de procéder en cours de location, à la division de
son fonds entre plusieurs propriétaires, notamment par
partage, aux fins d'établir qu'il existerait désormais
plusieurs baux, dont certains ou tous échapperaient au
statut au motif qu'ils porteraient sur des fonds d'une
superficie inférieure au minimum légal. Si la
règle a toujours été écartée
en cours de bail, la jurisprudence a admis qu'à la fin du
bail l'indivisibilité du contrat prend fin. Aussi le bail
renouvelé étant un nouveau contrat, le bailleur
propriétaire d'une parcelle devenue « petite »,
peut s'affranchir d'une partie du statut. Afin d'éviter
de telles manœuvres, le législateur a prévu
dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche
du 27 juillet 2010 une condition supplémentaire : la
dérogation au statut du fermage ne s'applique pas « aux
parcelles ayant fait l'objet d'une division depuis moins de
9 ans ».
Diviser oblige parfois à
patienter !
C.
La SAFER
peut-elle exercer son droit de préemption sur un terrain
partiellement boisé ?
Civ. 3e,
5 juin 2013, pourvoi n° 12-18.313. (Adde. Civ. 3e,
19 mars 2008, pourvoi n° 07-11.383).
Vente d'une parcelle mixte
- Droit de préemption de la SAFER - Prépondérance
de la partie agricole - CRPM, art. L. 143-1 et
L. 143-4 6°.
46. La
SAFER (société d'aménagement et
d'établissement foncier rural) peut-elle, par exercice du
droit de préemption qu'elle tire des articles L. 143-1
et suivants du Code rural et de la pêche maritime, se
porter acquéreur à l'occasion de la vente d'une
parcelle partiellement boisée ? C'est à cette
question, nouvelle à notre connaissance, que la Cour de
cassation vient de répondre par un arrêt de
principe, offrant une lecture plus fine des cas d'exclusion du
droit de préemption SAFER en matière de bois.
47. Les
faits, simples, méritent d'être rappelés, ne
serait-ce que pour différencier la solution retenue de
celle rendue quelques années plus tôt dans une
situation quelque peu différente puisqu'il s'agissait de
la vente de plusieurs parcelles dont certaines étaient en
nature de bois.
En l'espèce, le
propriétaire d'une parcelle, pour partie en nature de pré
et pour le reste en bois, envisage de la vendre. Le notaire
chargé d'instrumenter la vente décide alors, comme
la loi l'y oblige (L. 412-8 par renvoi de L. 143-8,
CRPM) (alors qu'il convenait dès ce stade de s'interroger
pour savoir si l'aliénation envisagée entrait ou
non dans le champ d'application du droit de préemption),
de notifier la vente à la SAFER qui déclare, dans
le délai de 2 mois qui lui est imparti pour se prononcer,
préempter le bien mixte vendu. En réaction, les
acquéreurs évincés sollicitent les juges
afin d'obtenir l'annulation de la préemption. Demande
repoussée au motif principal que dans l'hypothèse
de la vente d'une parcelle non intégralement boisée,
« la proportion de bois doit être regardée
comme indifférente ». Erreur manifeste
d'interprétation selon la Cour de cassation, pour qui une
parcelle de nature mixte, vendue isolément, n'est
susceptible d'être préemptée par la SAFER
« que si les surfaces agricoles sont
prépondérantes ».
48. La
position des hauts magistrats mérite d'être saluée,
emprunte de bon sens qu'elle est ; elle peut même être
renforcée par raisonnement analogique avec un autre droit
de préférence légal récemment
instauré.
L'article L. 143-1 du Code
rural et de la pêche maritime enseigne que le droit de
préemption de la SAFER a vocation à s'appliquer en
cas d'aliénation de « biens immobiliers à
utilisation agricole ? ou terrains à vocation
agricole » ; logique puisque l'objectif à
terme pour la SAFER devenue propriétaire est de
rétrocéder le bien, là pour installer un
jeune ailleurs pour renforcer une exploitation agricole. Aussi
importe-t-il, comme l'y invite la Cour de cassation, de procéder
avec discernement, et de ne pas ouvrir à la préemption
tout bien « mixte ». Alors que par
principe (sauf les cas particuliers listés au 6° de
l'article L. 143-4), le droit de préemption est
écarté s'agissant de surfaces boisées, il
serait absurde que quelques gouttes de prairies dans un océan
d'arbres suffisent à restaurer la prérogative de
la SAFER, exorbitante du droit commun de la vente.
Au bon sens ajoutons le
raisonnement analogique. La loi dite de modernisation de
l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 a
instauré un droit de préférence des
propriétaires de parcelles boisées contiguës.
Le dispositif, initialement codifié aux articles L. 514-1
et suivants du Code forestier, a été retouché
par loi du 22 mars 2012 (dite de simplification du droit,
ou encore loi « Warsman »). Au-delà d'un
simple changement de numérotation (désormais
articles L. 331-19 à L. 331-21 du Code
forestier), le régime juridique du droit de préférence
des voisins en cas de vente de parcelles boisées s'est
enrichi d'une exception tout à fait éclairante par
rapport à l'arrêt étudié. Dorénavant
(depuis le 1er juillet 2012), le droit de
préférence ne s'applique pas lorsque la vente doit
intervenir « sur un terrain classé
entièrement au cadastre en nature de bois mais dont la
partie boisée représente moins de la moitié
de la surface totale ». C'est clair ! Si les
surfaces boisées ne sont pas prépondérantes,
il ne saurait y avoir de droit de préférence légal
(que l'on pourrait d'ailleurs qualifier de droit de préemption
au regard de sa source) sur le bien mixte vendu. Tout comme
vient de le juger la Cour de cassation : il ne saurait y
avoir de droit de préemption de la SAFER si la partie
agricole n'est pas prépondérante dans le bien
mixte dont la vente est envisagée.
[p.
16] 49. La solution que nous
venons d'évoquer ne doit pas être confondue avec
celle rendue quelques années plus tôt par la Cour
de cassation, mais dans un contexte différent(32).
En l'espèce, le propriétaire envisageait de vendre
non pas un terrain mixte, mais plusieurs parcelles dont
certaines étaient boisées et d'autres de nature
agricole. Or le cas est expressément visé par le
a) du 6° de l'article L 143-4 du Code rural et de la pêche
maritime, qui restaure le droit de préemption de la SAFER
sur les surfaces boisées lorsque « ces
dernières sont mises en vente avec d'autres parcelles
boisées dépendant de la même exploitation
agricole ». L'apport de la jurisprudence au texte
cité résultant alors de la précision que la
SAFER peut préempter un fonds incluant des parcelles
boisées « sans qu'il soit exigé que
les parcelles non boisées soient prépondérantes »(33).
Dans l'affaire, l'acquéreur évincé
contestait la préemption SAFER au motif que les surfaces
boisées ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption
que si elles sont « l'accessoire » d'autres
parcelles non boisées de la même exploitation. En
l'occurrence, les surfaces agricoles ne représentaient
que 3ha 30ca sur les 13 ha aliénés.
Est-ce à dire qu'en
présence de plusieurs parcelles, un peu « d'agricole
» dans le lot « boisé » suffit à
restaurer à coup sûr la SAFER dans son droit de
préemption ? Pas automatiquement, car le législateur
lui-même offre la possibilité aux parties de
cantonner la préemption par la SAFER aux seules parcelles
agricoles, ce qui est somme toute logique. En effet, les
parcelles boisées peuvent être soustraites du droit
de préemption et l'acquéreur peut les conserver
« si le prix de celles-ci fait l'objet d'une
mention expresse dans la notification faî te à la
SAFER » (a) in fine du 6° de l'article
L. 143-4 du CRPM. Pour exclure, en cas de vente d'un fonds
englobant plusieurs parcelles, le droit de préemption de
la SAFER sur celles qui sont boisées, les parties doivent
prendre l'initiative de ventiler le prix, et le notaire de le
mentionner dans la notification qu'il va alors adresser à
la SAFER.
Ici, il ne pouvait être
question de ventiler le prix dans la mesure où encore une
fois était vendu non pas plusieurs parcelles dont
certaines boisées, mais un seul terrain qualifié
de « mixte » car pour partie boisée. Alors
convient-il -comme le suggère la Cour de cassation dans
son attendu de principe - de regarder si la partie agricole est
prépondérante, auquel cas le notaire devra
notifier à la SAFER, en mesure de préempter le
bien mixte.
D.
Activité
agricole : une notion à géométrie variable
!
Civ. 2e,
4 juill. 2013, pourvoi n° 12-23.276 ; Rép.
Min., JOAN Q, n° 33837, 3 sept. 2013,
p. 9219.
Activité agricole
- Définitions - CRPM, art. L. 311-1 ;
CCH, art. L. 112-16.
50. Le
ruraliste ne peut qu'être surpris à la lecture tant
de l'arrêt rendu récemment par la deuxième
Chambre civile de la Cour de cassation que d'une réponse
ministérielle en date du 3 septembre 2013, dans des
matières que l'on pourrait juger à la périphérie
de l'activité agricole, puisqu'il s'agissait pour la
première d'un litige relatif à un trouble anormal
de voisinage et pour la seconde des modalités de
délivrance des autorisations de construire en zone
agricole.
51. Pendant
des siècles, l'activité agricole, acte
essentiellement civil par opposition au commerce, n'a pas posé
de problème majeur de définition. Mais avec le
développement des techniques agronomiques, le jour où
l'on s'est mis à élever des animaux ou produire
des végétaux « hors sol », le jour où
l'agriculteur a diversifié ses activités, il est
forcément devenu plus délicat de cerner la notion
d'« activité agricole ».
Un espoir est apparu lorsque le
législateur, en 1988, s'est employé à
définir l'activité agricole (CRPM, art. L. 311-1)
sauf que, d'une part, il n'a pas voulu donner à cette
définition juridique une application généralisée
et, d'autre part, les différentes branches du droit,
privé ou public, traitant de la situation agricole se
sont employées à préserver leur autonomie.
Selon l'article L. 311-1 du
Code rural et de la pêche maritime, sont agricoles les
activités « par nature » (maî
trise et exploitation d'un cycle biologique de caractère
végétal ou animal et constituant une ou plusieurs
étapes nécessaires au déroulement de ce
cycle), par « rattachement » (activités
dans le prolongement de l'acte de production : ex. la vente
directe), ayant « pour support l'exploitation »
(ex. la ferme auberge) et enfin celles par « détermination
de la loi » (1997 : les cultures marines,
2005 : les activités équestres et 2010 :
la méthanisation à la ferme).
52. À
la lumière du droit social agricole, la définition
(consistant en une liste « à la Prévert »)
est plus large (CRPM, art. L. 722-1 et s.), englobant
autour des agriculteurs au sens traditionnel des professions de
nature diverse (ex. travaux forestiers) qui sont seulement en
relation avec l'agriculture. Sur le plan fiscal agricole, il n'y
a pas de définition et le législateur utilise
d'ailleurs alternativement les adjectifs « agricole »
et « rural », exprimant là
encore une vision très extensive qui cherche à
appréhender les « bénéfices
imposables de l'exploitation », c'est-à-dire
les revenus que l'exploitation de biens ruraux procure aux
fermiers ou aux propriétaires exploitants eux-mêmes.
53. Or, le
droit immobilier suggère encore d'autres lectures de la
notion d'activité agricole. Ainsi la Cour de cassation
vient-elle de refuser le bénéfice dit de
préoccupation (visé à l'article L. 112-16
du Code de la construction et de l'habitation, qui prévoit
qu'une activité - agricole, artisanale, industrielle …
- causant aux occupants d'un bâtiment des nuisances
n'ouvre pas droit à réparation lorsque le permis
de construire afférent au bâtiment exposé à
ces nuisances a été demandé ou l'acte
authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail
établi postérieurement à l'existence des
activités les occasionnant, dès lors que ces
activités s'exercent en conformité avec les
dispositions législatives ou réglementaires en
vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes
conditions) à un couple d'éleveurs de paons au
motif surprenant que l'animal n'est plus « depuis
bien longtemps considéré comme un animal destiné
à l'alimentation humaine ».
54. Il n'y
aurait donc que ce qui se mange qui serait agricole ! Voilà
qui réduirait drastiquement la portée de la
définition juridique de l'activité agricole. L'on
pense que la Cour a plutôt voulu, sans le dire, distinguer
entre l'élevage à caractère professionnel,
activité agricole justifiant l'application de l'article
L. 112-16 du [p. 17]
Code de la construction et de l'habitation, et celui qui est
pratiqué à titre de pur loisir et ne permettant
pas par conséquent de revendiquer le bénéfice
du principe de préoccupation.
55. Mais
alors qu'est-ce qu'un élevage professionnel ? Dans
un secteur particulier, celui du cheval, le Ministre de
l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt apporte
une réponse qui peut là encore surprendre. Afin de
préserver le foncier agricole, le Code de l'urbanisme
déclare inconstructibles les zones agricoles dites
« zones A ». Par dérogation,
peuvent être autorisées dans ces zones les
constructions et installations nécessaires à
l'exploitation agricole. Sont ainsi envisageables les bâtiments
d'exploitation et d'habitation répondant par leurs
fonctionnalités et leurs dimensions aux besoins de
l'exploitation agricole. Or l'on a pu voir certains
entrepreneurs privés faire l'acquisition de quelques
animaux afin de se déclarer centre équestre, donc
activité agricole depuis la loi du 23 février
2005, dans le seul but d'obtenir légalement la
possibilité de construire sur le terrain possédé
et situé en zone agricole. Aussi le Ministre de
l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a-t-il
été interrogé pour savoir s'il ne serait
pas envisageable de mettre en place des seuils afin de limiter
les abus que l'on peut constater en matière de
construction en zone agricole.
Ce à quoi il vient de
répondre que s'il n'y a que des chevaux, l'élevage
doit en comporter au moins 10 pour être qualifié
« d'exploitation agricole », en
faisant référence à un arrêté
du 21 février 2007 qui fixe une équivalence
en termes de surface minimale d'installation (SMI) pour
l'exercice de ces activités développées
dans le cadre d'atelier hors-sol. Et d'ajouter qu'un logement ne
peut être autorisé que si des soins constants aux
animaux sont nécessaires, ce qui signifie la présence
de « femelles reproductrices ». La
simple surveillance d'animaux ne saurait entraî ner un
besoin de logement. À bon entendeur salut ! Selon le
Ministre, l'administration et les juridictions administratives
devraient retenir comme seuil de délivrance d'un permis
de construire en zone agricole pour les besoins de
l'exploitation… la présence d'au moins dix
chevaux, dont une poulinière !
Mais il ne s'agit là que
d'une réponse ministérielle, à mettre en
perspective de décisions rendues par les juridictions
administratives quelques mois auparavant, certes dans des
secteurs différents puisqu'il s'agissait de producteurs
de safran ou de champignons.
56. Le
Tribunal administratif puis la Cour administrative d'appel de
Bordeaux (CAA Bordeaux, 7 mars 2011, n° 10BX00649)
ont eu l'occasion de rejeter la décision de refus d'un
permis de construire en zone agricole sollicité par un
producteur de champignons, au motif que l'administration aurait
dû tenir compte d'au moins trois éléments
pour répondre favorablement : la qualité
d'exploitant du pétitionnaire, qui était inscrit à
la mutualité sociale agricole depuis 15 ans ;
un courrier de la chambre d'agriculture indiquant que la culture
ici de champignons, par sa fragilité, son conditionnement
délicat nécessite une présence sur place
permanente... or, l'intéressé ne disposait pas
d'une habitation à proximité de l'exploitation en
cause. C'est la combinaison de plusieurs éléments
qui seule est susceptible de convaincre les juges. Pour preuve,
les scieurs de bois et les bûcherons exercent des
activités relevant de la mutualité sociale
agricole, et pourtant leurs activités ne relèvent
de la définition de l'activité agricole telle
qu'elle est proposée à l'article L. 311-1 du
Code rural et de la pêche maritime. Aussi la construction
d'un hangar destiné au stockage du bois ou encore de
maisons d'habitation pour les bûcherons a-t-elle pu être
refusée en zone agricole d'un plan local d'urbanisme.
57. À
propos de la culture de safran, la Cour administrative d'appel
de Marseille a pu, à diverses reprises (CAA Marseille,
9 oct. 2009, n° 07MA02537 ; CAA Marseille,
27 janv. 2011, n° 08MA03244), indiqué qu'il
n'est pas établi que « par la seule mention
de la valeur marchande » du safran,
l'exploitation en cause serait exposée à un risque
élevé de vols … qu'un logement sur place
permettrait d'éviter. Décision, pour la première
de 2009, censurée par le Conseil d'État (CE,
7 nov. 2012, n° 33424) pour erreur de droit
validant le refus de permis de construire opposé à
cette exploitation agricole.
Ce fut l'occasion pour la haute
juridiction administrative de préciser à nouveau
les éléments propres à caractériser
« la construction nécessaire à
l'exploitation agricole », formule usuelle des
documents d'urbanisme. Le lien de nécessité qui
est exigé pour admettre de manière dérogatoire
la construction en zone A « doit, de manière
essentielle, s'apprécier au vu des exigences
particulières de l'activité agricole ».
Or dans l'affaire en litige, la culture du safran nécessite
que la fleur soit cueillie à un moment précis de
la croissance de la plante. Les stigmates récoltés
doivent sécher à l'air libre. La valeur des bulbes
et de l'épice récoltée suscite la
convoitise ! Autant d'éléments pour le
Conseil d'État qui imposent une surveillance permanente
de l'exploitant. Et d'ajouter qu'en l'espèce, la petite
surface cultivée (moins de 1 000 mètres
carrés) n'est pas significative dès lors que le
producteur y consacre l'essentiel de son temps (ici de mai à
novembre) pour un chiffre d'affaire significatif (en
l'occurrence de 15 000 euros).
58. Autant
d'approches que de matières finalement, ce qui a pu
légitimement faire dire à certains que l'activité
agricole c'est une « mosaïque de solutions »…
dans laquelle il devient difficile pour l'interprète de
s'y retrouver.
E.
Dans quel
délai le bailleur peut-il agir pour contester la
dévolution successorale du bail rural ?
Civ. 3e,
24 avril 2013, pourvoi n° 12-14.579.
Bail rural - Transmission
à cause de mort - Non-conformité avec le
contrôle des structures - Délai pour agir
- C. civ., Art. 1742 - CRPM, art. L. 411-34.
59. L'article
L. 411-34 déroge au droit commun des successions tel
que prévu par le Code civil, pour organiser une
dévolution successorale tout à fait particulière
du bail rural. Ainsi le texte prévoit-il qu'en cas de
décès du preneur, le bail continue au profit de
son conjoint, de son partenaire auquel il est lié par un
pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses
descendants « participant à l'exploitation
ou y ayant participé effectivement au cours des cinq
années antérieures au décès ».
Deux conditions doivent donc être satisfaites pour être
le continuateur du preneur décédé :
faire partie du cercle familial et avoir une compétence
professionnelle avérée par une participation
actuelle ou passée [p.
18] à l'exploitation objet du bail ; l'on
parle alors de « continuateur privilégié ».
En cas de demandes de plusieurs ayants droit, c'est le tribunal
paritaire qui tranchera en considération des intérêts
en présence et de l'aptitude des différents
demandeurs à gérer l'exploitation et à s'y
maintenir, un peu comme en matière d'attribution
préférentielle.
60. Maintenant,
les ayants-droit du preneur, compétents ou non, ont la
faculté de demander la résiliation du bail, sous
réserve d'agir dans les six mois à compter du
décès de leur auteur.
La même faculté est
accordée au bailleur lorsque le preneur ne laisse pas de
conjoint ou d'ayant droit réunissant les critères
familiaux et professionnels évoqués plus haut. Le
bailleur doit donc réagir rapidement, à partir
d'un évènement -le décès de son
preneur- dont il n'est pas forcément informé de
suite, s'il souhaite s'opposer à la dévolution
successorale du bail à des héritiers non issus du
cercle familial ou alors qui bien qu'en étant issus ne
répondent pas aux exigences professionnelles.
Aussi résulte-t-il de la
combinaison des articles 1742 du Code civil et L. 411-34 du
Code rural et de la pêche maritime, qu'en l'absence de
résiliation de la part du bailleur dans le délai
de six mois à compte du décès du preneur,
le droit au bail passe, sans restriction ni condition, aux
héritiers de ce dernier ; l'absence de résiliation
poursuivie par le bailleur dans le délai étant
sanctionnée par une forclusion entraî nant pour le
bailleur la déchéance du droit non exercé
en temps utile.
61. En
l'espèce, les bailleresses avaient fait délivrer
congé aux époux co-preneurs au motif qu'ils
avaient atteint tous les deux l'âge de la retraite retenu
en matière d'assurance vieillesse des exploitants
agricoles. Congé contesté par les co-preneurs qui
ont sollicité l'autorisation de céder leur bail à
leur fils. Fils qui, postérieurement au décès
de son père survenu au cours de l'instance, a demandé
le bénéfice de la cession de bail pour cause de
mort. Demande de cession pour cause de mort rejetée par
les juges du fond qui déclarent valide le congé,
alors que selon le requérant le bailleur avait laissé
passer sans réagir le délai légal de
résiliation et agi néanmoins postérieurement
aux fins de faire échec à la transmission du bail
au profit du fils au motif que ce dernier n'était pas en
conformité avec le droit d'exploiter tel qu'il résulte
du contrôle des structures.
C'est en cela que la décision
est intéressante, apportant une réponse éclairante
sur le délai de réaction du bailleur en cas de
décès du preneur.
62. La
question qui était finalement posée était
celle de savoir si l'action en résiliation du bail pour
cause de décès sur le seul fondement du contrôle
des structures était enfermée dans le délai
de 6 mois imposé par l'article L. 411-34. La
solution est sans ambiguïté ; la Cour de
cassation confirme le bien-fondé de la décision
des juges du fond déboutant le fils de sa demande de
continuation et déclarant le congé valable. Ils
ont « exactement retenu, l'absence d'exercice par
le bailleur de son droit légal de résiliation
étant à cet égard indifférente, que
la continuation du bail au profit de l'ayant droit du preneur
décédé ne pouvait intervenir que si
celui-ci présentait une situation régulière
au regard du contrôle des structures des exploitations
agricoles » … ce dont le fils du preneur décédé
ne pouvait en l'espèce se prévaloir.
Maintenant, il avait déjà
été jugé que la seule qualité
d'ayant droit ne dispensait pas de se conformer à la
réglementation des structures(34).
63. Alors
quels enseignements tirés de cette position, confortée,
de la jurisprudence en matière de dévolution de
succession anomale telle qu'elle est prévue par l'article
L. 411-34. C'est notamment, et certains l'ont affirmé
très tôt (cf. J.-P. Moreau), que le statut du
fermage ne saurait être déconnecté d'autres
règlementations, soit-elles administratives, applicables
à l'exploitation agricole.
Du reste, l'on sait que le bail
rural n'est valable que si son bénéficiaire est en
conformité avec le contrôle des structures ; à
défaut il encourt à tout instant la nullité,
qui pourrait être invoquée par le bailleur bien
sûr, mais également par le préfet en charge
de cette réglementation et encore, prévoit la loi,
par la SAFER qui se verrait opposer un bail rural pour repousser
son droit de préemption prioritaire. Dès lors, il
est logique que tant le locataire initial que celui [p.
19] qui viendrait à lui succéder, de
son vivant ou à cause de mort, soit en conformité
avec la législation applicable en matière de
contrôle des structures.
64. Il est
nécessaire pour les continuateurs du bail, qu'ils soient
privilégiés ou non, de disposer -si nécessaire-
d'une autorisation d'exploiter ou de procéder à
une déclaration s'agissant d'opération à
caractère familiale. Sans quoi le bailleur pourra-t-il
faire valoir cette non-conformité au contrôle des
structures pour s'opposer à la cession pour cause de mort
; comme d'ailleurs il pourrait l'utiliser pour s'opposer à
une cession entre vifs. La logique du contrôle des
structures, qui est de contrôler le fait d'exploiter et la
personne de l'exploitant peu importe le titre sur lequel
s'appuie l'exploitation, est respectée.
65. Reste
des questions sans réponse ! Quel est le fondement
de cette action du bailleur en résiliation du bail,
puisque l'on est hors le cas prévu littéralement
par l'article L. 411-34 ? Et dans la foulée,
puisque l'action sur le fondement de défaut en conformité
avec le contrôle des structures n'est pas enfermée
dans le délai légal de six mois, peut-on imaginer
un délai au-delà duquel le bailleur serait forclos
pour agir ? Attendons de nouvelles décisions qui
peut être apporteront un éclaircissement sur ces
points.
D. R.
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