Chroniques (procédures collectives)

Philippe ROUSSEL GALLE Professeur à l'Université René Descartes (Paris V), membre du CEDAG

Florence REILLE Maître de conférences à l'Université du sud-Toulon-Var Membre du CDPC Jean Claude Escarras (UMR-CNRS 7318)

I. Actualité règlementaire

Décret n° 2013-799 du 2 septembre 2013 modifiant l'article D. 144-12 du Code monétaire et financi JORF n° 0205 du 4 septembre 2013, p. 14936 ; Rev. proc. coll.5/2013, alerte 21 ; BJE sept./oct. 2013, Édito F. Pérochon



1. Vive le rebond ! Afin de faciliter le rebond des entrepreneurs ayant connu une liquidation judiciaire, l'indicateur « 040 » de la banque de France a été supprimé par un décret du 2 septembre 2013. Cet indicateur était jusqu'à présent attribué à l'entrepreneur individuel ou au dirigeant d'une entreprise ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire. Ce n'est donc désormais plus le cas, et le débiteur qui n'a pas commis de faute ne se voit plus attribuer un indicateur spécifique dans le Fichier bancaire des entreprises de la Banque de France (FIBEN).

Ainsi, l'article D. 144-12 du Code de commerce a été modifié en ce sens, et il dispose désormais que « À l'exception des cas mentionnés au III, le prononcé d'une seule procédure de liquidation judiciaire au cours des cinq dernières années n'entraî ne pas l'attribution d'un indicateur significatif aux dirigeants d'entreprise et aux entrepreneurs individuels ». La réserve du III concerne les dirigeants et entrepreneurs condamnés à une faillite personnelle ou à une interdiction de gérer. L'objectif de cette mesure est de rétablir l'accès au crédit des débiteurs concernés et donc de faciliter le rebond. Le texte est entré en vigueur le 9 septembre 2013 et il s'applique aux situations en cours. Près de 150 000 entrepreneurs seraient concernés !

Reste que comme l'a remarqué fort justement le Professeur Françoise Pérochon(1), il est pour le moins regrettable que les débiteurs bénéficiant d'un plan de sauvegarde ou de redressement continuent de se voir attribuer des indicateurs significatifs… Ce qui est pour le moins paradoxal. Bref, encore un petit effort et on y arrivera !

(P. R.G.)

II. Sort du débiteur

A. Ouverture des procédures

Com., 23 avril 2013, pourvoi n° 12-17.189, FS-P+B ; D. 2013, actu. 1130, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 12-13 juill. 2013, p. 19, obs. D. Voinot.

2. Conversion du redressement en liquidation judiciaire : le tribunal doit-il se prononcer - de nouveau - sur l'état de cessation des paiements ? On évoquera l'arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2013 assez brièvement parce que d'une part, il a été rendu sous le régime des textes initiaux de 2005 et que la question ne se pose plus depuis l'ordonnance de 2008, et d'autre part parce que la solution est empreinte de bon sens. Il n'en est pas moins destiné à une publication au bulletin des arrêts de la Cour de cassation, mais il est vrai qu'il évoque une question importante, à savoir la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Dans les textes initiaux résultant de la loi du 26 juillet 2005, l'article L. 631-15, II du Code de commerce disposait que durant la période d'observation, le tribunal pouvait notamment prononcer la liquidation judiciaire, si « les conditions prévues à l'article L. 640-1 sont remplies ». Et ledit article L. 640-1 relatif à l'ouverture de la liquidation prévoyant l'ouverture de la liquidation judiciaire lorsque le débiteur est en cessation des paiements et que son redressement est manifestement impossible, un débiteur reprochait à une Cour d'appel d'avoir confirmé un jugement ayant converti un redressement en liquidation judiciaire, sans se prononcer sur la cessation des paiements. La lettre des textes pouvait certes justifier une telle solution, mais elle n'avait guère de sens. D'une part, si le redressement est manifestement impossible, l'issue de la procédure de redressement ne peut être que la liquidation judiciaire, sauf bien sûr à ce que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et dettes afférents à la procédure auquel cas, il peut demander à ce qu'il soit mis fin au redressement judiciaire(2). Mais c'est une chose de ne pas être ou de ne plus être en cessation des paiements et c'en est une autre de pouvoir désintéresser ses créanciers. D'autre part, l'ordonnance de 2008 a modifié l'article L. 631-15, II qui ne renvoie plus depuis lors à l'article L. 640-1 mais [p. 15] limite le prononcé de la liquidation judiciaire à la seule condition de constater le caractère manifestement impossible du redressement.

Restait évidemment à trouver une interprétation qui ne mette pas trop à mal la lettre des textes et c'est bien ce que fait la Cour de cassation dans l'arrêt ici commenté. Tout en rappelant que la conversion du redressement en liquidation judiciaire devait en l'espèce être examinée au regard des dispositions de l'article L. 631-15, II du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, la Chambre commerciale ajoute que la cessation des paiements a déjà été constatée lors de l'ouverture du redressement judiciaire. Dès lors, le renvoi opéré à l'article L. 640-1 ne peut, toujours selon la Chambre commerciale, viser que la condition relative à l'impossibilité manifeste du redressement. En d'autres termes, il ne peut être reproché à la Cour d'appel de ne pas s'être prononcée sur la cessation des paiements.

C'est là faire une application « anticipée » de la solution énoncée par les textes depuis 2008 et on ne peut que s'en réjouir, car c'est à la fois assurer une continuité dans la jurisprudence et simplifier la procédure.

(P. R.G.).

Com, 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-16.635, FS - P+B ; LEDEN sept. 2013, n° 1obs. Th. Favario ; D. 2013, p. 1831, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 29 sept.-1er oct. 2013, p. 16, obs. Fl. Reille.



3. La demande d'extension d'une procédure collective n'est pas nécessairement exclusive de toute autre demande. La demande en extension pour confusion des patrimoines ou fictivité de la personne morale fait encore parler d'elle ! Mais il est vrai que les effets exorbitants du droit commun d'un tel dispositif expliquent sans doute le contentieux qu'il génère.

En l'espèce, c'est la question de la demande en extension qui soulevait difficulté. Plus précisément, le liquidateur qui avait initié une telle action avait exclusivement sollicité l'extension dans son assignation mais en cours de procédure, il avait en outre demandé paiement de diverses sommes et fait assigner parallèlement le débiteur en comblement de passif. Et ce dernier de soutenir avec succès devant les juges du fond que l'assignation en extension est irrecevable au motif qu'une telle assignation doit être exclusive de toute autre demande.

En d'autres termes, les juges du fond ont assimilé la demande en extension à une demande en ouverture de la procédure. Dès lors, leur raisonnement est logique et il est vrai que pour le débiteur cible, la décision d'extension produit les effets de l'ouverture d'une procédure collective à son égard. Mais la Cour de cassation ne l'entend pas ainsi. Elle juge, en effet, que l'article R. 631-2 alinéa 2 du Code de commerce applicable en liquidation judiciaire sur renvoi de l'article R. 640-1 selon lequel la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est, à peine d'irrecevabilité, qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande, ne s'applique pas à la demande d'extension de la procédure.

Il est vrai que la Cour de cassation avait admis que la demande en extension ne pouvait être accompagnée, même subsidiairement d'une demande de condamnation du débiteur cible au paiement d'une certaine somme correspondant à l'insuffisance d'actif(3). Mais depuis lors, l'article R. 631-2 a été modifié par le décret du 12 février 2009 afin d'autoriser une demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire à titre subsidiaire lorsque la demande principale porte sur une demande d'ouverture d'un redressement judiciaire. Certes, l'espèce ici commentée relève des textes antérieurs à ce décret et la situation est différente, puisque le texte précité vise l'ouverture de la procédure et non son extension, mais on peut penser que cette modification a été prise en compte.

Aussi bien, la solution permet une accélération de la procédure et on ne peut que s'en féliciter. En effet, la solution contraire aboutit à attendre le résultat de l'action en extension pour agir sur un autre fondement, si elle échoue.

(P. R.G.)

Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15010 ; D. 2013, actu. 1543, obs. A. Lienhard ; LEDEN juill. 2013, p. 3, obs. F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2013 Étude 18, concl. R. Bonhomme ; Rev. sociétés 2013, p. 520, obs. L.-C. Henry ; Act. proc. coll. juill. 2013, n° 167, obs. P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 29 sept. - 1er oct. 2013, p. 7, obs. Fl. Reille.



4. Extension pour confusion des patrimoines : le créancier contrôleur peut agir ! La loi du 26 juillet 2005 a sensiblement renforcé les pouvoirs des créanciers contrôleurs puisque depuis lors, ceux-ci peuvent agir en cas de carence du mandataire judiciaire(4). Plus précisément, selon l'article L. 622-20 du Code de commerce, « en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt » c'est-à-dire dans l'intérêt collectif. Par application de l'article R. 622-18, il doit dans un premier temps mettre en demeure le mandataire d'agir par lettre recommandée avec accusé de réception et si cette mise en demeure reste infructueuse pendant deux mois, le créancier contrôleur peut intenter l'action lui-même. Rappelons simplement que le contrôleur agit alors à ses frais et ne peut le faire seul en matière de sanction pour éviter les abus ; dans cette dernière hypothèse, il faut que la majorité des créanciers contrôleurs agissent et qu'ils soient au moins deux. Mais nous n'étions pas dans cette hypothèse dans l'avis rendu par la Cour de cassation le 3 juin 2013.

La question soumise à la Haute juridiction portait, en effet, sur la possibilité pour un créancier contrôleur de suppléer la carence du mandataire judiciaire dans le cadre d'une action en extension d'une procédure collective sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité de la personne morale. La réponse donnée par la Cour de cassation est affirmative et on s'en félicitera.

Certes, comme l'indiquait le demandeur, cette action en extension ne « sert pas nécessairement l‘intérêt des créanciers et n'a pas pour effet de faire recouvrer des sommes d'argent et de les faire entrer dans le patrimoine des créanciers ». Il faut, en effet, rappeler que l'action en extension peut prospérer indépendamment de la situation financière de l'entreprise cible, elle peut même être défavorable pour les créanciers de la procédure collective initiale. Sous cet angle, il pouvait donc être soutenu [p. 16] qu'une telle action n'est pas nécessairement conforme à l'intérêt collectif. Mais une telle solution aurait eu pour effet de réduire sensiblement la possibilité pour les créanciers contrôleurs d'agir en cas de carence du mandataire judiciaire. Surtout, elle aurait eu pour effet de retenir une conception stricte de la notion d'intérêt collectif. Enfin, la solution est conforme à la finalité même de l'action en extension qui est de rétablir une réalité juridique ; lier la recevabilité de l'action du créancier à la question de savoir si elle relève ou non de l'intérêt collectif aurait conduit les juges à des questionnements sur l'intérêt collectif dans tel ou tel cas, auxquels il leur aurait été difficile de répondre(5).

(P. R.G.)

Com., 9 juill. 2013, pourvoi n° 12-13.193 ; Gaz. Pal. 29 sept.-1er oct. 2013, p. 26, obs. D. Voinot.



5. Le jugement de prorogation du délai d'examen de clôture de la liquidation est une mesure d'exécution provisoire. Afin d'accélérer le déroulement des procédures liquidatives, le législateur du 26 juillet 2005 a mis en place une procédure de liquidation judiciaire simplifiée mais il a également prévu que dans le jugement ouvrant la liquidation judiciaire, le tribunal fixe un délai au terme duquel la clôture de la procédure doit être examinée. Bien sûr, si cette clôture ne peut être prononcée à la date prévue, le tribunal peut en proroger le terme par une décision motivée, mais à tout le moins, ce dispositif permet-il de rappeler le dossier pour vérifier l'avancement des opérations liquidatives.

En l'espèce, une liquidation judiciaire avait été ouverte le 7 octobre 2008, puis par un jugement du 5 octobre 2010, le tribunal avait prorogé le délai d'examen au 7 octobre 2010, soit deux jours plus tard ! Il s'agissait manifestement d'une erreur, et par un jugement de rectification matérielle, en date du 19 octobre 2010 le tribunal avait dit que le délai serait prorogé au 7 octobre 2012.

La question portait sur les recours ouverts à l'encontre du jugement prononçant la rectification. Mais pour la Cour de cassation, le jugement de prorogation du délai d'examen de la clôture de la procédure est une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours, fût-ce pour excès de pouvoir, et c'est sans doute là l'apport de cet arrêt. Et pour en revenir à l'espèce, puisque ce jugement est insusceptible de recours, il en va de même du jugement qui en prononce la rectification.

La solution peut surprendre puisque comme cela a été relevé(6), l'exigence d'une décision motivée de prorogation du délai pouvait laisser penser que cette décision serait susceptible de recours mais il n'en est donc rien. La solution ainsi adoptée, même si elle peut sans doute être discutée, présente à tout le moins l'avantage de participer de l'accélération du déroulement de la procédure mais aussi de sa simplification, et elle est donc en parfaite harmonie avec l'esprit de la loi.

(P. R.G.).

B. Biens du débiteur

Com., 18 juin 2013, pourvoi n° 11-23.716, inédit ; D. 2013, p. 1618, obs. A. Lienhard ; RD bancaire et financier, sept. 2013, comm. 159, obs. S. Piédelièvre ; JCP 2013, éd. E, p. 1452, note Ch. Lebel ; BJS oct. 2013, p. 667, obs. E. Mouial-Bassilana.



6. Déclaration d'insaisissabilité : séance de rattrapage pour ceux qui auraient manqué l'immanquable des années 2011, 2012 et 2013. Il n'est pas étonnant que la décision du 18 juin 2013 ne soit pas publiée au bulletin des arrêts de la Cour de cassation, celle-ci ne faisant que confirmer sa (très débattue) jurisprudence consacrant la puissante résistance de la déclaration notariée d'insaisissabilité (DNI) en cas de procédure collective(7).

Le scénario, désormais bien connu (et sans doute déjà bien rodé pour ceux qui souhaitent, aujourd'hui, tirer tous les bénéfices d'une DNI que la Cour de cassation a résolument voulue le plus efficace possible), est toujours le même : un débiteur est placé en liquidation judiciaire et, dans son patrimoine, figure un immeuble ayant fait l'objet d'une DNI. Le liquidateur, qui souhaite réaliser l'immeuble, se heurte au mécontentement du débiteur (ou à celui des créanciers auxquels la DNI serait inopposable).

Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la Cour d'appel de Chambéry donnait raison au liquidateur, jugeant que, puisque parmi les créanciers, figuraient des créanciers à qui la DNI était inopposable - les créanciers dont les droits sont nés antérieurement à la DNI et ceux dont les droits sont nés postérieurement à celle-ci, mais pour des causes étrangères à l'activité professionnelle du débiteur(8) -, le mandataire de justice pouvait procéder à la vente de l'immeuble en cause. Une position tout à fait défendable, qui, non seulement s'appuie sur une fine argumentation développée par une partie de la doctrine(9), mais qui, en outre, n'était pas encore en contradiction avec la position adoptée par la Cour de cassation, l'arrêt de référence en la matière ayant été rendu quelques jours après l'arrêt des juges chambériens(10).

Pour les hauts magistrats, le raisonnement qui prévaut est celui qui permet une analyse en sens inverse de la situation : dés lors que parmi les créanciers soumis à la procédure collective - c'est-à-dire ceux dont le liquidateur judiciaire défend l'intérêt collectif -, figurent des créanciers auxquels la DNI est inopposable, le mandataire de justice qui « ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers », n'est pas habilité à réaliser l'immeuble déclaré insaisissable(11).

[p. 17] C'est autour de la notion d'intérêt collectif que se concentre toute la question de la résistance de la déclaration d'insaisissabilité à la procédure collective. Une notion dont la complexité explique les divergences de vues(12), que la position affirmée et réaffirmée de la Cour de cassation n'a pas réellement suffit à apaiser.

Si le cadre de cette chronique ne permet pas de revenir, dans le détail, sur cette notion et les débats qu'elle engendre, il est revanche intéressant d'y rappeler, outre l'affirmation de la résistance de la DNI à la liquidation judiciaire que l'arrêt du 18 juin nous permet de rapporter, la force que la Cour de cassation a souhaité donner à cette résistance.

Souvenons-nous, en effet, que le liquidateur, déjà privé du droit de réaliser l'immeuble frappé d'insaisissabilité, est encore empêché de contester la régularité de la déclaration notariée(13), comme il est empêché de l'attaquer par la voie de l'action paulienne, le recours aux nullités de la période suspecte étant encore vain(14).

Autant dire que la déclaration d'insaisissabilité offre, aujourd'hui, une belle opportunité à l'entrepreneur soucieux de protéger une partie de son patrimoine des aléas de son activité professionnelle. Sauf pour lui à subir les poursuites individuelles des créanciers auxquels la DNI est inopposable, ce qui, désormais, ne devrait que rarement manquer d'arriver…

(F. R.).

III. Sort des créanciers

Com., 22 mai 2013, pourvoi n° 11-23.961, publié au bulletin ; BJE juillet-août 2013, p. 226, note M. Laroche ; D. 2013, p. 1594, note F. Danos ; JCP 2013, éd. E, p. 1434, n° 5, obs. Ph. Pétel ; LEDEN sept. 2013, p. 3, obs. N. Borgas ; Act. proc. coll. 2013, alerte 135, obs. P. Cagnoli ; D. 2013, p. 1594, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2013, p. 591, obs. A. Martin-Serf ; Rev. sociétés 2013, p. 526, note Ph. Roussel Galle ; RTD civ. 2013, p. 649, note W. Dross ; RD bancaire et financier 2013, comm. 169, obs. C. Houin-Bressand ; Rev. proc. coll. 2013, comm. 130, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, p. 27, obs. E. Le Corre-Broly.



7. Impossible revendication d'une somme d'argent, obligation de déclaration. Pour ne pas être inédite, la solution a le mérite de rappeler aux créanciers les limites (ô combien larges et nombreuses) de leurs prérogatives dans le cadre de la procédure collective.

Une société exerçant une activité d'agence de voyage est, par convention conclue en 1995, habilitée à vendre des billets d'avion pour le compte de plusieurs compagnies aériennes. À ce titre, elle perçoit les sommes correspondant au prix desdits billets. Fin 2008, la société est placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire quelques mois plus tard. Les compagnies aériennes revendiquent alors les fonds perçues par la société au titre des billets vendus pour leur compte. La Cour d'appel de Paris rejette les requêtes en revendication, suivie en cela par la Cour de cassation, qui rappelle avec clarté qu'« une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d'une somme d'argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur ».

La solution avait déjà été posée, qui prévoit l'impossible revendication d'une somme d'argent(15), mais des hésitations quant à la portée de l'affirmation, pourraient donner une certaine importance à cette décision du 22 mai 2013. En effet, le principe de non revendication des sommes, qui vient contrarier une autre règle, relative à la possible revendication des biens fongibles(16), semblait devoir céder en cas d'individualisation de ces fonds(17). Or, en l'occurrence, les compagnies aériennes reprochaient aux juges du fond d'avoir rejeté leur demande en revendication sans avoir vérifié que ces sommes, remises à titre précaire au débiteur, n'étaient pas individualisées et identifiables. C'est précisément sans tenir compte de ce reproche formulé à l'encontre de la motivation des juges de la Cour d'appel de Paris, que la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel une demande en restitution (ou en paiement)(18) de fonds ne peut être formée par voie de revendication.

Est-ce à dire que le principe est désormais d'application générale ? Sans doute sa portée s'en trouve-t-elle éclaircie et élargie, mais peut-être serait-il trop hâtif de considérer que la solution du 22 mai 2013 puisse dispenser de toute nuance, notamment s'agissant du mandant qui réclame restitution au réceptionnaire de fonds, des sommes figurant sur un compte à affectation spéciale ouvert, au nom du mandataire, dans les livres de cette banque tiers(19).

Reste que de manière désormais plus certaine(20) et plus large qu'auparavant, les autres créanciers sont empêchés de [p. 18] toute revendication de somme d'argent, ce qui, dans le cadre d'une procédure collective ne leur laisse plus que le vague espoir de venir aux répartitions, pourvu, cependant, qu'ils aient déclaré leur créance dans les délais, ce qui est encore une autre affaire.

(F. R.)

Com., 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-20.649, publié au bulletin ; D. 2013, p. 1830, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 525, obs. L.-C. Henry ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 34, obs. Ch. Gailhbaud ; Dr. et procéd. 2013, à paraî tre, obs. Ph. Roussel Galle.



8. Naissance, nature et régime des cotisations sociales : rappels et précision. Par cet arrêt, la Cour de cassation règle trois questions intéressant la créance de cotisation impayées d'assurance vieillesse de la caisse de retraite et de prévoyance de certaines professions para-médicales (la CARPIMKO).

Un masseur kinésithérapeute est mis en redressement judiciaire en 2010. La CARPIMKO à laquelle il est affilié, déclare une créance correspondant à certains cotisations d'assurance vieillesse laissées impayées par le débiteur, ainsi que les majorations de retard et frais la poursuite y afférent. De l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers qui a statué sur les droits de la CARPIMKO, celle-ci contestait les solutions apportées à trois difficultés que la Cour de cassation résout avec constance et rigueur.

La première difficulté est relative au sort des majorations et frais déclarés par la caisse. Si l'article L. 243-5 alinéa 7 du Code de la sécurité sociale prévoit qu'en cas de procédures collectives «? les pénalités, majorations de retard et frais de poursuite dus par le redevable à la date du jugement d'ouverture sont remis? », la CARPIMKO prétend que le texte ne vise que les pénalités et majorations dont le paiement est garanti par le privilège mobilier prévu à l'article L. 243-4 du même code. En dépit de l'état actuel de la jurisprudence sur ce point, l'argument n'est pas dénué de pertinence, l'article L. 243-5 du Code de la sécurité sociale comprenant de nombreux alinéas, tous relatifs aux sûretés bénéficiant aux créances visées et se trouvant placé, au sein d'un chapitre 3, dans une section 2 elle-même relative aux sûretés. Pour autant, la Cour de cassation, fidèle à sa propre logique, refuse d'adhérer à l'interprétation restrictive proposée par la Caisse : en raison de sa généralité, l'alinéa 7 de l'article L. 243-5 « s'applique sans distinction suivant le caractère privilégié ou chirographaire de la créance de majorations et frais ». Une solution déjà affirmée par la Chambre commerciale de la Cour(21), puis par la deuxième Chambre civile(22) dans des affaires similaires, mettant en cause, comme en l'espèce, la CARPIMKO. La solution est donc aujourd'hui encore confirmée.

La deuxième difficulté concerne l'assimilation, espérée et soutenue par la caisse, des créances de cotisations sociales garanties par le privilège mobilier que la loi leur confère, avec les créances privilégiées de salaire. L'objectif de l'assimilation est simple : l'article L. 625-8 du Code de commerce prévoyant que ces dernières créances bénéficient d'un paiement préférentiel comme devant être acquittées « sur les premières rentrées de fond », la CARPIMKO revendiquait le bénéfice de cette préférence pour obtenir le paiement des cotisations sociales en cause. Là encore, peine perdue : le fait que les cotisations sociales soient garanties par un privilège mobilier qui leur ouvre un rang de paiement concurrent à celui des salariés établi par les articles L. 625-7 et L. 625-8 du Code de commerce, ne permet pas de les assimiler à ces dernières. À ce titre, il ne saurait être question de les faire bénéficier de la priorité de paiement réservée aux créances salariales. Là encore, la solution n'est pas nouvelle, la Cour ayant déjà eu l'occasion, quelques jours auparavant, et sur un motif de pur droit(23), d'affirmer son refus d'une telle assimilation, laquelle paraî t, effectivement, injustifiée(24).

La troisième difficulté donne lieu à une solution plus « neuve », même si elle s'inscrit indéniablement dans une logique déjà mise en œuvre par la Cour en d'autres occasions(25). Elle concerne la détermination du fait générateur de la créance de cotisation d'assurance vieillesse, lequel permet, à son tour, de déterminer le caractère antérieur ou postérieur de la créance par rapport au jugement d'ouverture de la procédure collective, celui-ci participant à sceller le sort de ces créances dans la procédure en cause. Contrairement à ce qu'avaient retenu les juges du fond, la haute Cour décide de considérer, comme fait générateur de ces créances, le 1er janvier de l'année de référence, date à laquelle naî t la créance « en une seule fois, pour toute l'année »(26). Peu importe que cette créance soit exigible par fractions échelonnées au cours de cette même année. Concernant la CARPIMKO, sa créance était donc, pour l'année 2010 et dans sa totalité, une créance antérieure, peu importe que le redressement judiciaire du débiteur n'ait été ouvert que le 25 mai 2010.

(F. R.)

Civ. 2e, 16 mai 2013, pourvoi n° 12-16.216, publié au bulletin ; AJ famille 2013, p. 445, obs. N. Levillain ; LEDEN juill. 2013, p. 5, obs. P. Rubellin ; D. 2013, p. 1268 ; JCP 2013, éd. G, doctr. 1060, obs. H. Périnet-Marquet ; Procédures 2013, comm. 254, obs. B. Rolland ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, p. 29, obs. L. Antonini-Cochin.



9. De l'intérêt d'être créancier de l'indivision en cas de procédure collective de l'indivisaire. En cas d'indivision, l'article 815-17 du Code civil distingue deux sortes de créanciers : les créanciers dits de l'indivision, c'est-à-dire ceux qui auraient pu agir sur les biens indivis avant la naissance de l'indivision et ceux dont la créance est née de la conservation ou de la gestion [p. 19] régulière des biens indivis, et les autres, dits créanciers personnels d'un indivisaire.

Ainsi que la rappelle la décision du 16 mai 2013, dans le cadre d'une procédure collective, mieux vaut appartenir à la première catégorie qu'à la seconde.

Une banque, bénéficiant d'un privilège de prêteur de deniers, poursuit la saisie d'un immeuble indivis entre deux ex-époux. Ultérieurement, l'ex-épouse est soumise à une procédure de liquidation judiciaire. La banque sollicite du juge de l'exécution la distribution des sommes provenant de l'adjudication du bien. La Cour d'appel de Versailles, se fondant sur l'article R. 622-19 du Code de commerce et la caducité de la procédure de distribution de prix de l'immeuble ne faisant pas suite à une procédure d'exécution ayant produit un effet attributif au jour du jugement d'ouverture, ordonne la remise des fonds revenant à l'ex-épouse, au titre de sa quote-part, au liquidateur judiciaire.

Une motivation et une décision censurée par la Cour de cassation pour laquelle « en statuant ainsi, alors que la banque, créancière de l'indivision qui préexistait à l'ouverture de la procédure collective de l'ex-épouse, pouvait poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble indivis pour être payée, avant le partage, par prélèvement sur l'actif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Décider d'appliquer à la situation les règles de l'article R. 622-19 du Code de commerce et décider de la remise des fonds au liquidateur judiciaire avant paiement de la banque était en effet oublier que le bien indivis ne rentre pas dans le périmètre de la procédure collective(27). Il s'en suit que le créancier de l'indivision n'est lui-même pas soumis à la discipline collective(28), et qu'en particulier, il échappe à l'arrêt des poursuites individuelles et voies d'exécution auquel sont astreints les créanciers de l'indivisaire(29). À ce titre, le créancier de l'indivision peut, non seulement poursuivre la saisie et la vente du bien indivis, mais peut encore recevoir paiement par prélèvement sur l'actif, avant le partage.

Une position bien confortable lorsque l'on connaî t le sort rarement enviable des créanciers antérieurs « ordinaires », dans le cadre des procédures collectives.

(F. R.)

Com., 18 juin 2013, pourvoi n° 12-20.615, publié au bulletin ; LEDEN sept. 2013, p. 2, obs. P. Rubellin ; D. 2013, p. 1616, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 527, note Ph. Roussel Galle ; RD bancaire et financier 2013, comm. 165, obs. C. Houin-Bressand.



10. Le délai de droit commun pour déclarer créance, un « délai minimal garanti » : confirmation. Pour déclarer créance, le créancier dispose, en principe, d'un délai de deux mois à compter de la publication (pourvu qu'elle soit régulière(30)) du jugement ouvrant la procédure collective au débiteur(31). Des dérogations existent, prévues par le législateur, qui jouent tantôt sur le délai lui-même(32), tantôt sur le point de départ de celui-ci, parfois encore sur les deux, par exemple s'agissant des délais de déclaration de créance de l'AGS(33).

La Cour de cassation a récemment eu l'occasion de s'intéresser aux délais spéciaux aménageant le point de départ du délai de déclaration, notamment celui bénéficiant au créancier titulaire d'une sûreté publiée ou lié au débiteur par un contrat publié, lequel peut déclarer sa créance dans le délai de deux mois qui suit l'avertissement personnel(34) dont il doit être destinataire(35). C'est précisément ce délai qui était en jeu dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 18 juin 2013.

En l'occurrence, la société Intersport, créancier titulaire d'une sûreté publiée, avait été avertie personnellement et par LRAR, d'avoir à déclarer sa créance entre les mains du mandataire judiciaire. Ce n'est qu'à une date postérieure à celle de la réception de l'avis personnel évoqué, que la publication du jugement d'ouverture au Bodacc était effectuée. Or, le créancier, qui déclarait sa créance plus de deux mois après notification de l'avis, mais moins de deux mois après publication du jugement d'ouverture au Bodacc, prétendait ne pas encourir la forclusion. Suivi en son argumentation par la cour d'appel de Lyon, le plaideur obtient encore gain de cause devant la Cour de cassation.

Aujourd'hui, la solution est sans surprise. Elle est l'exacte reprise, pour le redressement judiciaire, d'une décision en date du 30 octobre 2012 par laquelle la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « ? ne peut encourir la forclusion, le créancier titulaire d'une sûreté publiée qui a déclaré sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc, peu important qu'il ait été averti personnellement avant cette publication par le liquidateur, d'avoir à déclarer sa créance »(36). Une prise de position réitérée, quelques mois plus tard, au bénéfice d'un bailleur, créancier des dommages-intérêts dus au titre de la résiliation du contrat en cours qui le liait au débiteur et pour lequel la Cour décide que sa déclaration, effectuée dans le délai de droit commun, suffit à le faire échapper à la forclusion, dés lors que le délai spécial dont la [p. 20] loi lui accorde le bénéfice(37), expire avant que ne prenne fin le premier délai(38).

De cette double affirmation, que l'arrêt du 18 juin 2013 vient encore appuyer, ressort une règle plus générale tirée de la finalité protectrice des délais spéciaux de déclaration de créance : ceux-ci n'ont vocation à s'appliquer que lorsqu'il y va de l'intérêt du créancier, c'est-à-dire dans la grande majorité des cas, auquel, d'ailleurs, le législateur s'est référé pour les instaurer. En revanche, lorsque, dans un contexte particulier, l'application de ce délai spécial s'avère moins favorable au créancier que le délai de droit commun, ce dernier doit retrouver son empire(39).

Une assurance ainsi donné aux créanciers que la loi a voulu protéger, qu'ils ne seront jamais pris au piège de la faveur dont le législateur a souhaité les rendre bénéficiaires.

(F. R.)

Com., 23 avril 2013, pourvoi n° 11-25.963, publié au bulletin ; D. 2013, p. 1129, obs. A. Lienhard ; JCP 2013, éd. E, 1434, n° 4, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2013, comm. 110, obs. P. Cagnoli ; RTD com. 2013, p. 583, note A. Martin-Serf ; Rev. sociétés 2013, p. 381, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll. 2013, comm. 129, obs. F. et M.-N. Legrand ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, p. 22, obs. P.-M. Le Corre ; LEDEN juin 2013, p. 6, obs. O. Staes.



11. Obligation de déclarer créance avant expiration du délai pour agir en relevé de forclusion. Si la solution n'est pas nouvelle, elle est, pour la première fois affirmée sous l'empire de la loi de sauvegarde, ce qui lui donne son importance et justifie sans doute sa publication au bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

Tout créancier aura à cœur de retenir le principe dont la clarté - et il faut s'en réjouir - est à la mesure de l'impact que sa mise en œuvre peut avoir sur le sort de celui-ci : « si aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans la délai préfix de cette action, même s'il n'a pas été statué sur sa demande de relevé de forclusion à l'intérieur de ce délai ».

Déjà affirmée sous l'empire de la loi de 1985(40), l'obligation faite au créancier de déclarer sa créance dans le délai de l'action en relevé de forclusion aurait pu disparaî tre sous l'empire de la loi de sauvegarde. En premier lieu, cela aurait pu être le cas pour des raisons d'opportunité, l'intérêt d'enfermer le créancier relevé de sa forclusion dans un nouveau délai pour déclarer se créance pouvant être considéré comme douteux(41). En second lieu, cela aurait pu être le cas du fait de la nouvelle sanction qui frappe le créancier défaillant lequel n'est plus, comme autrefois, privé de son droit de créance, mais seulement de l'opposabilité de ce droit à la procédure collective(42). Cela aurait enfin pu être le cas en raison, qui vient doubler les précédentes, du silence des textes sur une quelconque obligation faite au créancier de déclarer dans le délai de l'action en relevé de forclusion.

Rejetant l'ensemble de ces arguments, la Cour de cassation fait donc le choix de la constance, ce dont il faut que le créancier tire rapidement et efficacement les conséquences pratiques : pour éviter toute déconvenue, celui-ci sera bien inspiré de solliciter un relevé de forclusion dans les délais, en même temps qu'il déclarera sa créance au passif du débiteur. Dans le pire des cas (l'absence de relevé de forclusion), il aura juste procédé à une vaine démarche. Dans le meilleur des cas (le relevé de forclusion), il aura protégé l'efficacité de son droit de créance dans le cadre de la procédure collective.

Pour autant, son paiement est loin d'être assuré : encore faut-il que sa créance soit admise dans le cadre de la procédure de vérification qui s'en suivra et, dans ce cas, encore faut-il que les actifs du débiteur soit suffisant pour lui permettre de recevoir un paiement, au moins partiel, de sa créance. C'est que le chemin est long et accidenté entre la déclaration de créance et le paiement. Raison de plus pour éviter de rater la première porte (la deuxième pour être plus juste… la première étant la déclaration dans les délais !).

(F. R.)

Com., QPC, 5 sept. 2013, pourvoi n° 13-40.034



12. Demande de relevé de forclusion après expiration du délai d'un an ! Si les QPC en droit des procédures collectives se suivent et se ressemblent, la plupart aboutissant à une décision de non renvoi, celle du 5 septembre 2013, bien qu'elle subisse le même sort, est particulièrement intéressante, la Cour de cassation en profitant pour énoncer une solution inédite.

C'est plus précisément sur la conformité à la Constitution des articles L. 622-26, L. 622-24 et L. 631-8 du Code de commerce que portait cette QPC. Les deux premiers de ces textes déterminent les modalités de déclaration des créances, en particulier les délais de déclaration et de relevé de forclusion mais également les sanctions en cas de non respect de ces obligations, en sauvegarde. Quant à l'article L. 631-8, il précise que ces dispositions sont également applicables en redressement judiciaire.

On relèvera tout d'abord que la question n'était, semble-t-il, pas très claire, la Cour de cassation prenant soin de préciser que « si le juge peut reformuler la question à l'effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet et la portée ». Et elle ajoute qu'elle se prononce sur la question telle qu'elle a été soulevée dans le mémoire distinct produit devant la juridiction qui la lui a transmise. Quoi qu'il en soit, à s'en tenir à l'arrêt de la Haute juridiction, il était soutenu que les textes précités entraî naient notamment une rupture d'égalité, une violation de la garantie [p. 21] des lois et du principe fondamental de légalité des peines mais l'article L. 631-8 n'était pas invoqué.

Aussi bien, la Cour de cassation refuse de renvoyer ces textes devant le Conseil constitutionnel en retenant tout d'abord qu'ils permettent une connaissance rapide du passif et qu'ils n'établissent aucune distinction injustifiée en différenciant les points de départ des délais impartis selon la date de naissance de la créance, la publicité dont les droits du créancier ont fait l'objet ou la qualité de victime d'une infraction pénale du créancier. Il faut en effet rappeler que si le délai de déclaration court pour la majorité des créanciers à compter de la date de publication du jugement d'ouverture au BODACC, le point de départ de ce délai est fixé au jour de la notification de l'avis d'avoir à déclarer pour les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié(43). On peut également rappeler que le délai de déclaration de créances d'une créance née d'une infraction pénale court, pour la partie civile, à compter de la date de la décision définitive qui en fixe le montant, lorsque cette décision intervient après la publication du jugement d'ouverture(44).

La Cour de cassation ajoute que ces dispositions n'excluent aucun créancier placé dans l'impossibilité de connaî tre l'existence de sa créance dans les six mois, du bénéfice du délai supplémentaire accordé pour agir en relevé de forclusion. Puisque, effectivement, le délai de relevé de forclusion de six mois est porté à un an en faveur des créanciers placés dans l'impossibilité de connaî tre l'existence de leur créance avant expiration du délai de six mois précité(45). Enfin, il est ajouté que ces dispositions n'édictent aucune sanction ayant le caractère d'une punition.

Mais c'est ensuite que la décision devient la plus novatrice. La Cour de cassation estime en effet que les dispositions précitées ne portent pas une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif. En effet, elles ne font pas, toujours selon la Haute juridiction, « obstacle à la recevabilité d'une action en relevé de forclusion exercée après l'expiration du délai maximal d'un an prévu par l'article L. 622-26 du Code de commerce placé dans l'impossibilité d'agir dans ce délai ». En d'autres termes, des demandes en relevé de forclusion et par voie de conséquence si ces demandes aboutissent, des déclarations de créances, peuvent intervenir au-delà du délai d'un an, et donc sans doute jusqu'à la clôture de la procédure, et c'est là une innovation bienvenue.

Certes, elle met à mal le principe selon lequel le passif doit être connu rapidement et donc traité. Toutefois, les créanciers concernés ne pourront concourir que pour les distributions postérieures à leur demande(46). Mais surtout, seuls les créanciers placés dans l'impossibilité d'agir en relevé de forclusion dans le délai d'un an à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC peuvent agir. Ainsi, seuls quelques-uns sont concernés et la solution ne devrait pas remettre en cause les solutions dégagées en matière de relevé de forclusion pour les autres créanciers.

L'innovation n'en est pas moins utile et on songe en particulier aux créanciers dont la créance est née suite à une nullité de la période suspecte. En effet, la créance de restitution résultant d'une telle action a toujours été qualifiée de créance antérieure(47) et elle doit à ce titre être déclarée. Mais encore faut-il que le délai de déclaration ou pour agir en relevé de forclusion ne soit pas expiré(48), ce qui est souvent le cas. A priori, cette nouvelle jurisprudence devrait leur être applicable, et sans doute à d'autres créanciers dans la même situation.

Comme quoi les QPC peuvent réserver d'heureuses surprises !

(P. R.G.)

IV. Sort des cocontractants

Com., 4 juin 2013, pourvoi n° 12-17.203, publié au bulletin ; D. 2013, p. 1470, obs. A. Lienhard ; JCP 2013, éd. E, p. 1434, n° 8, obs. Ph. Pétel ; LEDEN juillet 2013, p. 2, obs. E. Mouial-Bassilana ; Rev. sociétés 2013, p. 523, note L.-C. Henry ; Act. proc. coll. 2013, repère 163, obs. G. Jazottes ; BJE sept. 2013, p. 278, obs. S. Benilsi ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 18, obs. Ch. Bidan ; Gaz. Pal. 29 sept. 1er oct. 2013, p. 18, obs. Ch. Bidan.

13. Convention de compte courant en cours : difficile pour le banquier d'échapper aux contraintes de la procédure collective. Comme tout cocontractant, la banque liée au débiteur par une convention de compte courant doit se plier aux règles et principes de la procédure collective et la Cour de cassation de rappeler, par cet arrêt du 4 juin 2013, que les stratégies de contournement ont peu de chances de s'avérer efficaces.

Il en va ainsi de celle qui consiste, pour la banque, à refuser de poursuivre une convention de compte courant que l'administrateur a pourtant choisi de maintenir, au prétexte que la mission d'assistance de ce dernier, qui impose que sa signature s'ajoute à celle du débiteur pour tout ce qui concerne le fonctionnement du compte, fait naî tre des difficultés insurmontables d'organisation. C'est avec raison que la Cour de cassation oppose à l'argument, trois règles des procédures collectives auxquelles la banque ne peut prétendre échapper.

La première est relative à la mission confiée à l'administrateur judiciaire lorsqu'il en aura été nommé un dans le cadre de la procédure collective en cause. Une mission dont la nature peut varier : mission de surveillance ou d'assistance dans le cadre de la procédure de sauvegarde(49), mission de surveillance ou de représentation dans le cadre du redressement judiciaire(50). La mission d'assistance de l'administrateur, mission « normale » de cet organe de la procédure dans le cadre du [p. 22] redressement, et qui était en cause en l'espèce, est également variable dans son ampleur, le tribunal pouvant choisir de lui donner une portée générale ou de la cantonner à certains actes de gestion. Lorsque la mission d'assistance est, comme en l'espèce, confiée sans restriction au mandataire de justice, le principe qui régit sa mise en œuvre est celui d'une double signature exigée pour tous les actes accomplis par le débiteur et l'administrateur(51), lequel principe s'applique en matière de fonctionnement de compte courant(52). De ces règles d'ordre public, le contractant ne peut prétendre s'affranchir.

Les deux autres règles qui s'imposent à la banque, profondément liées l'une à l'autre, sont relatives au sort des contrats en cours dans le cadre des procédures collectives. D'une part, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective(53). D'autre part, l'administrateur a le pouvoir (exclusif) d'exiger la poursuite des contrats en cours, c'est-à-dire, d'imposer au cocontractant cette continuation, à charge pour lui de fournir la prestation promise au cocontractant(54). Ces règles sont, elles aussi, d'ordre public.

Pour la banque liée au débiteur par une convention de compte courant en cours, il résulte du caractère impératif de ces trois règles, au moins deux impossibilités. D'abord, l'impossibilité de prétendre que, dans le cadre de l'exécution du contrat poursuivie, il ne peut lui être imposé l'usage de chèques comportant la double signature. Ensuite, l'impossibilité de faire échec à la décision de poursuite de l'administrateur judiciaire au prétexte que la contrainte de la double signature, par hypothèse inévitable, constituerait pour elle un obstacle infranchissable en terme d'organisation. La résiliation du contrat en cours, qui, nonobstant toute disposition légale ou clause contractuelle, ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective, ne peut non plus résulter du seul fait des contraintes que cette procédure collective impose, et qui sont inhérentes à sa bonne conduite.

(F.R.)