Bail d'habitation

Civ. 3ème, 2 juin 2010

L'essentiel

L'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 n'oblige pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé ; il faut et suffit que l'offre de relogement soit faite pendant la période de préavis.

Baux à usage d'habitation - Loi du 6 juin 1989 - Congé pour reprise - Limitations édictées par l'article 15-III - Locataire âgé de plus de soixante-dix ans - Offre de relogement - Offre présentée durant la période de préavis - Effets

J. 51 Sur le moyen unique :

Attendu selon l'arrêt attaqué (Besançon, 21 mai 2008), que les époux X., propriétaires d'un logement donné à bail à Mme Y., ont délivré à celle-ci un congé afin de reprise ; que la locataire bénéficiant de la protection prévue à l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989, les bailleurs lui ont présenté plusieurs offres de relogement ; que Mme Y. s'étant maintenue dans les lieux au-delà de la date d'expiration du bail, les époux X. l'ont assignée aux fins d'obtenir son expulsion ; que la preneuse a contesté la validité du congé ;

Attendu que Mme Y. fait grief à l'arrêt de ne pas déclarer le congé nul alors, selon le moyen, que l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989, aux termes duquel le bailleur ne peut donner congé pour reprendre le logement au locataire, âgé de plus de soixante-dix ans, dont les ressources sont inférieures à une fois et demie le SMIC, sans lui proposer un relogement dans un logement équivalent, impose nécessairement de présenter l'offre de relogement dans le congé ; qu'en considérant qu'il suffisait que l'offre de relogement soit faite pendant le préavis faute pour le bailleur de disposer d'information sur les critères de protection à la date du congé, la Cour d'appel a violé par fausse interprétation le texte précité ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 n'oblige pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé et qu'il faut et suffit que l'offre de relogement soit faite pendant la période de préavis, la cour d'appel, qui a relevé, par des motifs non critiqués, que les époux X. avaient présenté à Mme Y. des offres suffisamment détaillées qui correspondaient à ses besoins et à ses possibilités, en a exactement déduit que le congé n'était pas nul et que Mme Y. était déchue de tout titre d'occupation depuis sa date d'effet ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Mme Gonet c./ Epoux Koch
Pourvoi n° 09-66.698

OBSERVATIONS

Gulsen YILDIRIM

Maître de conférences à la faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges(Membre du CREOP - EA. 4332)

1. Les locataires âgés particulièrement vulnérables en raison de leur faiblesse physique et économique font l'objet d'une attention particulière du législateur, exprimée à l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989(1). En vertu de ce texte, le bailleur ne peut refuser le renouvellement du bail aux personnes qui sont âgées de plus de 70 ans à la date de l'échéance du contrat et qui ont, à la date de la signification du congé, des ressources annuelles inférieures à une fois et demie le montant annuel du SMIC.

Toujours dans le même article, cette protection connaî t un tempérament lorsque le bailleur offre au preneur « un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 »(2). L'objectif est de limiter autant au possible les désagréments causés à la personne âgée en la relogeant à proximité de son logement actuel et surtout à des conditions équivalentes.

Cependant l'amplitude de la formule utilisée par le texte favorise des contestations purement dilatoires. Le locataire est souvent tenté de plaider que le logement offert ne correspond pas « à ses besoins » ou n'est pas à la mesure de « ses possibilités ». Cela est d'autant plus vrai que la loi demeure silencieuse sur la date d'émission de cette offre. C'est sur ce point que l'arrêt du 2 juin 2010 apporte une utile précision.

2. En l'espèce, voulant reprendre le local pour y habiter, les époux propriétaires avaient formulé plusieurs propositions de relogement après la délivrance du congé. Le locataire s'y oppose en soutenant que l'offre de relogement constituait une condition de validité du congé, et qu'elle devait lui être inhérente et concomitante. Les juges d'appel déboutent le preneur et se contentent d'une proposition faite pendant le préavis, « faute pour le bailleur de disposer d'information sur les critères de protection à la date du congé ».

La troisième chambre civile devait se prononcer sur la question du moment de la notification de l'offre de relogement faite au locataire âgé de plus de 70 ans et titulaire de faibles ressources. En rejetant le pourvoi formé par le preneur, elle estime qu'« il faut et suffit que l'offre […] soit faite pendant la période de préavis ».

3. Dans l'absolu, le relogement du locataire âgé est susceptible d'intervenir à trois périodes : par anticipation, au moment de la délivrance du congé ou postérieurement. La première hypothèse semble contraire à la lettre de [260] l'article 15-III qui fait le lien entre le congé et le relogement(3). Les effets de l'offre anticipée seront inévitablement conditionnés à la délivrance du congé(4). C'est pourquoi la sécurité du bailleur exige qu'elle soit rappelée et même renouvelée expressément dans le congé.

Par conséquent, la délivrance concomitante du congé et de la proposition de relogement semble être la solution naturelle. Le relogement de la personne âgée dans un local conforme aux exigences du texte est immédiatement garanti. D'ailleurs pris à la lettre, l'article 15-III peut être interprété comme tel. En effet, selon ses termes, « le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé […] sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert ». Cette formule incline à solidariser ces deux actes dans le temps et dans la forme.

4. Cette interprétation, malgré son évidence, ne tient aucunement compte des difficultés pratiques auxquelles peut être confronté le bailleur. Ce dernier ignore souvent au moment de la notification du congé que son locataire est légalement protégé. Certes la condition d'âge peut être rapidement découverte mais la connaissance effective des ressources annuelles au moment de la délivrance du congé constitue un cheminement difficile où se mêlent inquisitions et incertitudes. Les documents comme l'avis d'imposition remis lors de la conclusion du bail ne peuvent suffire à déterminer avec exactitude les revenus du locataire dont la situation a pu évoluer depuis l'entrée dans les lieux notamment en raison d'une perte d'emploi, d'un départ à la retraite, d'un abandon de domicile ou d'un décès.

Conscients de la difficulté, certains auteurs ont proposé de faire la distinction entre deux situations(5). La première est celle où le bailleur sait, au moment où il délivre le congé, que le locataire est protégé du fait de son âge et de ses ressources. L'offre de relogement devrait alors être formulée dans le congé lui-même.

La seconde situation serait celle où le bailleur ne prend connaissance de ces informations que par les réactions du locataire qui l'assigne en nullité du congé ou qui répond à la demande de validation du congé formée par le bailleur en invoquant le bénéfice de l'obligation de relogement. Dans ce cas de figure, celui-ci devrait pouvoir formuler une offre sans que l'on puisse opposer une quelconque déchéance. En cas de recours judiciaire, le tribunal devrait surseoir à statuer pour lui permettre de faire cette proposition.

Une telle distinction si elle est acceptable en théorie ne satisfait pas en pratique. On voit se profiler à l'horizon des difficultés probatoires inévitables. Comment en effet démontrer l'ignorance ou la connaissance du bailleur et surtout à qui incombe cette preuve ?

5. La jurisprudence n'est pas allée en ce sens. Les juridictions de fond ont majoritairement, certainement par prudence, opté pour la concomitance entre l'offre de relogement et le congé auquel elle doit être matériellement intégrée(6). En revanche, dans les affaires jusqu'à présent soumises à la Cour de cassation, les circonstances quelques peu atypiques(7) n'ont pas permis d'avoir un réponse claire sur cette question du moment de la notification de l'offre de relogement. Dans un arrêt de 1996, l'offre était antérieure au congé donc sans lien avec lui et dans une décision de 1998, l'offre était certes postérieure au congé mais aussi au terme du bail(8).

Dans l'arrêt du 2 juin 2010, la Cour de cassation affirme clairement que « l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 n'oblige pas le bailleur à présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé ». Le congé adressé sans cette proposition n'est pas systématiquement nul. Ses effets sont conditionnés à la présentation par le bailleur d'une telle offre.

Encore faut-il que cette dernière soit formulée avant le terme du contrat car, à défaut, le couperet de la tacite reconduction tombe. Il est naturel que sans un congé efficace, le contrat de bail parvenu à son terme reparte pour trois ans de plus(9). La troisième Chambre civile précise bien que l'offre doit être adressée au locataire « pendant la période du préavis ».

6. Une telle décision évite de s'interroger sur l'état des connaissances du bailleur à la date du congé. Concrètement, celui-ci dispose de six mois avant l'échéance du bail pour obtenir ces informations et respecter son obligation de relogement.

Doit-il pour autant se contenter d'attendre la réaction du locataire âgé qui fait valoir ses droits ? La négligence ou la mauvaise foi du preneur peut coûter cher au bailleur qui risque de ne pas avoir le temps nécessaire pour trouver un logement qui remplit les conditions assez strictes de l'article 15-III.

Logiquement, il revient au locataire protégé de se prévaloir de l'exception ainsi édictée à son profit mais aucun délai [261] ne lui est imparti(10). Faute d'un texte formel, il est difficile d'admettre que, comme pour les notifications à adresser au conjoint(11), le locataire qui n'informe pas le bailleur de sa situation privilégiée, une fois le congé reçu, ne peut se prévaloir d'une offre tardive. Il serait plus juste de proroger d'autant la durée du bail en cas d'opposition tardive du preneur émise dans les quelques jours qui précèdent l'expiration du préavis(12). A défaut, ce serait une prime à la mauvaise foi.

Toutefois, rien dans notre affaire ne permet de dire qu'il incombe au locataire de revendiquer le bénéfice de l'obligation de relogement dans un délai laissant au bailleur le temps de faire ses investigations. En attendant une clarification, la prudence s'impose. Le bailleur se doit d'informer son preneur de l'existence de cette dérogation dans le congé et s'il est susceptible d'en bénéficier, de se manifester rapidement. Face au silence de la personne âgée qui peut être justifié par son état de santé, une relance est préférable surtout si le propriétaire connaî t approximativement l'âge de son locataire.

7. En somme, dans la décision commentée, la Cour de cassation fait preuve de réalisme et de souplesse dans le respect de l'obligation de relogement des locataires âgés malgré une ratio legis de l'article 15-III en faveur d'une solidarité entre le congé et l'offre.

Une lecture trop restrictive aurait pu se retourner contre les personnes mêmes que la loi a pour ambition de protéger. « Quel bailleur avisé consentira en effet un bail à un locataire en limite d'âge, au risque d'un face à face locatif viager ? »(13).